​ Acre ​- ​Inscription campanaire avec signature d’artistes  ​  ​  ​  ​


Acre ​- ​Inscription campanaire avec signature d’artistes

Inscriptions du Royaume latin de Jérusalem CIFM, vol. Hors-série III ​  ​


Description générale

Inscription campanaire avec signature d’artistes.  . 
Cloche. ​ Bronze.  État de conservation : bon. Inscription déplacée et désormais conservée. Provenant d’Acre d’après le texte lui-même, ​ cette cloche fut découverte dans l’épave d’un navire le 14 mai 1960 par des pécheurs d’éponges de Krapanj, avec une ancre en plomb, des amphores et des carreaux de marbre. L’épave se trouvait à 45 m de profondeur, à 100 m de la petite île de Gorni Greben, à l’ouest de Silba, sur la côte dalmate. La cloche fut d’abord présentée au Musée municipal de Šibenik (Croatie), puis déplacée devant la porte latérale sud de l’église romane Saint-Chrysogone, où elle est encore exposée. Les caractères ont été appliqués et fondus, en relief.
Datation : 1266 [par datation interne].

Bibliographie

Texte d’après Bach.
Bach ​Ivan, « Zvono iz XIII stolječa u Muzeju Grada Šibenika » Prilozi Povijesti Umjetnosti u Dalmaciji, 19, 1972, p. 47-57. [texte, photo, commentaire] ; Bresc ​Henri, Bresc-Bautier ​Geneviève, « La cloche de Sibenik qui sonne pour la libération de la patrie (Acre, 1266) » Come l'orco della fiaba’: studi per Franco Cardini , ed. MarinaMontesani , FlorenceSISMEL, 2010, p. 49-71.

Description paléographique

Description paléographique d’après la photographie publiée par Ivan Bach. Le texte est disposé sur deux lignes qui font le tour du cerveau. L’écriture est régulière et élégante, de graphie majoritairement capitale, avec un module étroit. La traverse des N est régulièrement à l’envers (par exemple dans ducentesimo et honorem). Les éléments de ponctuation sont les croix qui délimitent les différentes parties du texte et les points placés presque entre chaque mot. Une seule abréviation est indiquée par un tilde droit pour la nasale du nom Andreotus. On notera deux erreurs graphiques : im au lieu de in et amen avec deux M dans l’invocation liminaire.





Édition imitative


1 ​ ✝ IM ​NOMINE ​· ​DOMINI ​AMMEN ​· ​ANNO ​· ​DOMINICE ​· ​INCARNACIONIS ​· ​MILLESIMO ​· ​DVCENTESIMO ​· ​SEXAGESIMO ​· ​SEXTO ​· ​IACOBVS ​· ​CAMPANARIVS ​· ​DE ​MESSANA ​· ​ET ​· ​A̅DREOTVS ​
2 ​PISANVS ​· ​ME ​· ​FECERVNT ​· ​IN ​· ​ACCON ​· ​ ✝ MENTEM ​· ​SANCTAM ​· ​SPONTANEAM ​· ​HONOREM ​· ​DEO ​· ​ET ​· ​PATRIE ​· ​LIBERACIONEM ​ ✝ AVE ​· ​MARIA ​· ​GRACIA ​· ​PLENA ​· ​DOMINVS ​· ​TECVM ​ ✝ /  ✝

1 ​ ✝ IM ​NOMINE ​· ​DOMINI ​AMMEN ​· ​ANNO ​· ​DOMINICE ​· ​INCARNACIONIS ​· ​MILLESIMO ​· ​DVCENTESIMO ​· ​SEXAGESIMO ​· ​SEXTO ​· ​IACOBVS ​· ​CAMPANARIVS ​· ​DE ​MESSANA ​· ​ET ​· ​A̅DREOTVS ​
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1 ​IM ​NOMINE ​· ​DOMINI ​AMMEN ​· ​ANNO ​· ​DOMINICE ​· ​INCARNACIONIS ​· ​MILLESIMO ​· ​DVCENTESIMO ​· ​SEXAGESIMO ​· ​SEXTO ​· ​IACOBVS ​· ​CAMPANARIVS ​· ​DE ​MESSANA ​· ​ET ​· ​A̅DREOTVS ​
2 ​PISANVS ​· ​ME ​· ​FECERVNT ​· ​IN ​· ​ACCON ​· ​MENTEM ​· ​SANCTAM ​· ​SPONTANEAM ​· ​HONOREM ​· ​DEO ​· ​ET ​· ​PATRIE ​· ​LIBERACIONEM ​AVE ​· ​MARIA ​· ​GRACIA ​· ​PLENA ​· ​DOMINVS ​· ​TECVM ​

Légende

Rouge : caractères allographes.



1 ​ ✝ IM ​NOMINE ​· ​DOMINI ​AMMEN ​· ​ANNO ​· ​DOMINICE ​· ​INCARNACIONIS ​· ​MILLESIMO ​· ​DVCENTESIMO ​· ​SEXAGESIMO ​· ​SEXTO ​· ​IACOBVS ​· ​CAMPANARIVS ​· ​DE ​MESSANA ​· ​ET ​· ​A̅DREOTVS ​
2 ​PISANVS ​· ​ME ​· ​FECERVNT ​· ​IN ​· ​ACCON ​· ​ ✝ MENTEM ​· ​SANCTAM ​· ​SPONTANEAM ​· ​HONOREM ​· ​DEO ​· ​ET ​· ​PATRIE ​· ​LIBERACIONEM ​ ✝ AVE ​· ​MARIA ​· ​GRACIA ​· ​PLENA ​· ​DOMINVS ​· ​TECVM ​ ✝ /  ✝

Légende

Bleu : mot abrégé.
Rouge : signe d'abréviation.



1 ​ ✝ IM ​NOMINE ​· ​DOMINI ​AMMEN ​· ​ANNO ​· ​DOMINICE ​· ​INCARNACIONIS ​· ​MILLESIMO ​· ​DVCENTESIMO ​· ​SEXAGESIMO ​· ​SEXTO ​· ​IACOBVS ​· ​CAMPANARIVS ​· ​DE ​MESSANA ​· ​ET ​· ​A̅DREOTVS ​
2 ​PISANVS ​· ​ME ​· ​FECERVNT ​· ​IN ​· ​ACCON ​· ​ ✝ MENTEM ​· ​SANCTAM ​· ​SPONTANEAM ​· ​HONOREM ​· ​DEO ​· ​ET ​· ​PATRIE ​· ​LIBERACIONEM ​ ✝ AVE ​· ​MARIA ​· ​GRACIA ​· ​PLENA ​· ​DOMINVS ​· ​TECVM ​ ✝ /  ✝

Légende

Cette inscription ne contient pas de jeux de lettres.



1 ​ ✝ IMNOMINE·DOMINIAMMEN·ANNO·DOMINICE·INCARNACIONIS·MILLESIMO·DVCENTESIMO·SEXAGESIMO·SEXTO·IACOBVS·CAMPANARIVS·DEMESSANA·ET·A̅DREOTVS
2 ​PISANVS·ME·FECERVNT·IN·ACCON· ✝ MENTEM·SANCTAM·SPONTANEAM·HONOREM·DEO·ET·PATRIE·LIBERACIONEM ✝ AVE·MARIA·GRACIA·PLENA·DOMINVS·TECVM ✝ Figure

Légende

Représentation des espaces entre les lettres tels qu'ils sont dans l'inscription.
Rouge : signalement des figures qui s'interposent avec le texte.



Édition critique

I{n} nomine Domini Amen. Anno dominice incarnacionis 1266, Jacobus campanarius de Messana et A(n)dreotus Pisanus me fecerunt in Accon. Mentem sanctam spontaneam honorem Deo et patrie liberacionem. Ave Maria gracia plena Dominus tecum.

Traduction

Au nom du Seigneur, amen. L’an de l’incarnation du Seigneur 1266, Giacomo fondeur de cloches de Messine et Andreotto de Pise m’ont fait à Acre. Un esprit sain, spontané, l’honneur pour Dieu et la libération de la patrie. Je te salue Marie pleine de grâce, le Seigneur est avec toi.

Commentaire

Alors que la production épigraphique de la seconde moitié du XIIIe siècle en Orient latin propose un discours essentiellement funéraire et en langue vernaculaire, cette inscription campanaire porte un autre message. Cette cloche est la plus grande connue au Royaume latin de Jérusalem. Sa découverte fortuite en 1960 par des pécheurs d’éponges rappelle celle des treize autres cloches, mais de taille réduite, déterrées avec 251 tuyaux d’orgue, lors de travaux de construction à Bethléem en 1906[1] ou encore, plus récemment, dans la mosquée Al Aqsa à Jérusalem. Cet objet du quotidien médiéval aux fonctions complexes est donc bien présent, quoique nouveau dans le paysage sonore de Terre Sainte à l’orée du XIIe siècle comme le rappelle Albert d’Aix[2].

Rédigé en latin, le texte est composé de trois parties, bien délimitées par des croix, après une invocation liminaire. La première pourrait être qualifiée de « signature d’artistes » grâce à la formule me fecerunt[3]. Celle-ci est courante et classe la cloche parmi les nombreux objets parlants grâce à la prosopopée. Rappelons néanmoins que la personnification des cloches dépasse la simple figure de style, puisque celles-ci étaient « baptisées », du moins bénites par un prêtre, et portaient un nom, le plus souvent féminin ; elles représentaient et faisaient entendre la voix de Dieu. Outre la date – 1266 rédigée en toutes lettres – et le lieu – Acre – c’est la collaboration en Terre Sainte entre deux artisans italiens, venant de Toscane et de Sicile, qui est mise en avant. L’un des fondeurs a été identifié par Ivan Bach (son hypothèse est reprise par Henri Bresc et Geneviève Bresc-Bautier) : Andreotto était issu d’une famille de fondeurs itinérants, fils de Bartolomeo Pisano, dont le frère Loteringo était également fondeur. D’autres Pisans ont aussi laissé leur nom sur des cloches ; leur capacité technique et leur réputation des fondeurs étaient grandes même au-delà de l’Italie centrale jusqu’en Sicile. L’autre artisan, mentionné en premier, était justement originaire de Messine. Ce Giacomo semble être le premier fondeur connu venant de l’île.

La deuxième partie de l’inscription, mentem sanctam spontaneam, honorem Deo et patriae liberationem, est une des formules campanaires les plus répandues à partir du XIIIe siècle, et ceci jusqu’au XVIIIe siècle. Sa source est une antienne de l’office de sainte Agathe. Cette sainte aurait été martyrisée au milieu du IIIe siècle, à Catane, et des anges auraient déposé à la tête de son tombeau une tablette de marbre portant cette inscription : Mens sancta, spontaneus honor Dei, et patriae liberatio (Siméon Métaphraste), Mens sancta spontanea, honor Deo et patriae liberatio (Méthode). Un office lui est assigné dès le Xe siècle. À partir de la fin du Xe ou au début du XIe siècle, on trouve l’antienne : Mentem sanctam spontaneam, honorem Deo et patriae liberationem. Sainte Agathe était invoquée comme protectrice contre tout ce qui brûle, incendies, foudre, feu du Purgatoire. La liturgie de bénédiction des cloches invitait à ce rapprochement avec le culte d’une sainte protectrice contre le feu et les tempêtes. La première mention datée de ce texte sur une cloche semble se situer à Saint-Jean-l’Évangéliste de Ravenne en 1208[4]. Selon Henri Bresc et Geneviève Bresc-Bautier, cette formule est certes apotropaïque, mais elle prend un sens particulièrement fort dans la conjoncture des menaces qui pèsent sur la Palestine chrétienne[5]. Elle aurait donc été choisie à dessein.

Enfin, la troisième partie est la prière de l’Ave Maria, également courante dans l’épigraphie campanaire[6]. Le texte se clôturait par un médaillon entre deux croix. Il pouvait s’agir d’un sceau, d’un emblème ou simplement d’un décor. Ivan Bach dit ne pas avoir pu l’étudier, et qu’on lui avait rapporté qu’il était très usé.

Dans le contexte difficile des années 1260, on peut se demander si la cloche coulée à Acre était bien destinée à une église ou un édifice public de cette ville ou à une autre de Syrie et Palestine, mais aussi pourquoi elle se trouvait dans ce bateau au large de la côte dalmate, et quels pouvaient être les liens avec les établissements hospitaliers et templiers. Pour Henri Bresc et Geneviève Bresc-Bautier, le navire est sans doute parti dans les dernières années du XIIIe siècle au moment de la chute d’Acre. Il s’agissait d’éviter que la cloche ne soit détruite, fondue ou transformée, comme d’autres le furent ; mais surtout, celle-ci devait présenter « le caractère d’une relique, mémoire de Terre Sainte et promesse de restitution »[7].




[1] Cheneau ​Paul, « L’ancien carillon de Bethléem  » Revue Biblique, 32, 1923, p. 602-607. Voir également les hypothèses de Manuel ​Castiñeiras, « Vox Domini: el órgano medieval del Museo del Studium Biblicum Franciscanum de Jerusalén y la perdida Sibila de la iglesia de la Natividad de Belén » Ad Limina, 5, 2014, p. 63-82.
[2] Albert of Aachen, Historia Ierosolimitana, History of the Journey to Jerusalem , ed. SusanB. Edgington , OxfordClarendon Press, 2007livre VI, p. 40. Voir à ce sujet l'étude d'Iris ​Shagrir, « Urban Soundscape. Defining space and community in twelfth-century Jerusalem » Communicating the Middle Ages. Essays in Honour of Sophia Menache , ed. IrisShagrir, BenjaminKedar, MichelBalard , London, New YorkRoutledge, Taylor & Francis Group, 2018, p. 103-120.
[3] Voir la thèse d’Émilie ​Mineo, L’artiste, l’écrit et le monument. Signatures épigraphiques en France au Moyen Âge central, sous la direction de Cécile Treffort, à l’Université de Poitiers, 2016 (2 vol.). En attendant sa publication, voir l’article du même auteur, « Las inscripciones con “me fecit”: ¿Artistas o comitentes ? » Románico 20 : Me Fecit: Comitentes, artistas y receptores del Románico, 2015, p. 106-112.
[4] Rouhault de Fleury ​Charles, La Messe : études archéologiques sur ses monuments, Paris, VI, 1888, p. 160 ; FavreauRobert « Mentem sanctam spontaneam honorem Deo et patriae liberationem. Épigraphie et mentalités » Mélanges J. Stiennon , Liège, 1982, p. 235-244.
[5] Bresc, Bresc-Bautier, « La cloche de Sibenik », p. 60-66.
[6] Par exemple sur des cloches contemporaines en Allemagne : DI 88, Landkreis Hildesheim, Nr. 3 ; DI 64, Querfurt, Nr. 6.
[7] Bresc, Bresc-Bautier, « La cloche de Sibenik », p. 54.