​ Jaffa ​- ​Fragment d'inscription mentionnant Frédéric II  ​  ​  ​  ​


Jaffa ​- ​Fragment d'inscription mentionnant Frédéric II

Inscriptions du Royaume latin de Jérusalem CIFM, vol. Hors-série III ​  ​


Description générale

Inscription trop fragmentaire pour lui attribuer une fonction. 
Pierre (marbre blanc).  Dimensions du fragment : hauteur = 77 cm, largeur = 20 cm, épaisseur = 15 cm. État de conservation lors de la découverte : fragmentaire, il ne restait que le milieu de l’inscription ; la première ligne visible constitue sans doute bien la première ligne du texte, mais il n’est pas possible d’évaluer sa taille réelle.  ​ Clermont-Ganneau indique simplement avoir recueilli des inscriptions lors de son excursion à Jaffa, au cours des années 1873-1874, sans en indiquer la provenance exacte ; il précise que ce fragment était réemployé et servait à recouvrir un égout dans une rue de la ville. La pierre a été acquise à cette même époque par un archimandrite russe. Gravée en creux.
Datation : 1229 [par identification de formule et de personnage, en accord avec l’analyse paléographique].

Bibliographie

Texte d’après le dessin de M. A. Lecomte transmis par Clermont-Ganneau.
Clermont-Ganneau ​Charles, « Tombe et portrait d'un évêque croisé de Palestine, contemporain de saint Louis » Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 18ᵉ année, n. 3, 1874, p. 274 [texte d’après le dessin de M. A. Lecomte] ; Clermont-Ganneau ​Charles, « Crusading Inscriptions » Archaeological Research in Palestine during the Years 1873-1874, London : Palestine Exploration Fund, 1896, vol. II, p. 155-156 [texte, dessin, commentaire] ; De Sandoli ​Sabino, Corpus Inscriptionum Crucesignatorum Terrae Sanctae (1099-1291) : Testo, traduzione e annotazioni, Jerusalem : Franciscan Printing Press, 1974, p. 347 n°258 [texte, dessin, commentaire] ; Pringle ​Denys, The churches of the Crusader Kingdom of Jerusalem : a corpus. Volume 1, A-K (excluding Acre and Jerusalem), New York/Cambridge : Cambridge University Press, 1993, p. 266 [texte] ; Boas ​Adrian, « Frankish Jaffa » The History and Archaeology of Jaffa 1, A. Burke, M. Peilstöcker (eds), Los Angeles : Cotsen Institute of Archaeology Press, 2011, p. 124 [texte] ; Sharon ​Moshe, « « Frederick II’s Arabic Inscription from Jaffa (1229) » Crusades 11, 2016, p. 139-158 [texte, dessin, commentaire] ; Sharon ​Moshe, Corpus Inscriptionum Arabicarum Palaestinae, vol. 6 -J (1)-, Leiden/Boston : Brill, 2017, p. 48-49 [texte, dessin, commentaire].

Description paléographique

Disposition sur au moins trois lignes. Écriture gothique, régulière et élégante. Alternance de formes capitales et onciales pour une même lettre (T capital dans augustus et oncial dans incarnationis). On relève trois formes de A, toutes avec plateau débordant : gothique sans traverse dans augustus, capitale puis gothique dans incarnationis. Les lettres E et C présentent des empattements triangulaires, et les courbes de certains A, N et R se terminent par une petite boucle. Le lapicide a travaillé les pleins et déliés dans les lettres C, E, G, S notamment. Pas d’abréviation dans le fragment. Ponctuation régulière par trois points verticaux entre les mots.





Édition imitative


1 ​---] ​ER ​⁝ ​ ​AVGVSTVS ​⁝ ​ ​I[--- ​
2 ​ ​---]NICE ​⁝ ​ ​INCARNATIO[--- ​
3 ​ ​---]TI ​[---]

1 ​---] ​R ​⁝ ​ ​AVGVSTVS ​⁝ ​ ​I[--- ​
2 ​ ​---]NIC ​⁝ ​ ​ICARAꞆIO[--- ​
3 ​ ​---]TI ​[---]

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1 ​---] ​R ​⁝ ​ ​AVGVSTVS ​⁝ ​ ​I[--- ​
2 ​ ​---]NIC ​⁝ ​ ​ICARAIO[--- ​
3 ​ ​---]TI ​[---]

Légende

Rouge : caractères allographes.



1 ​---] ​R ​⁝ ​ ​AVGVSTVS ​⁝ ​ ​I[--- ​
2 ​ ​---]NIC ​⁝ ​ ​ICARAꞆIO[--- ​
3 ​ ​---]TI ​[---]

Légende

Bleu : mot abrégé.
Rouge : signe d'abréviation.



1 ​---] ​R ​⁝ ​ ​AVGVSTVS ​⁝ ​ ​I[--- ​
2 ​ ​---]NIC ​⁝ ​ ​ICARAꞆIO[--- ​
3 ​ ​---]TI ​[---]

Légende

Cette inscription ne contient pas de jeux de lettres.



1 ​---]RAVGVSTVSI[---
2 ​---]NICICARAꞆIO[---
3 ​---]TI[---]

Légende

Représentation des espaces entre les lettres tels qu'ils sont dans l'inscription.
Rouge : signalement des figures qui s'interposent avec le texte.



Édition critique

[--- ​semp]er augustus J[erusalem Domi]nice incarnatio[nis ---].

Traduction

[---] toujours auguste, [roi] de Jérusalem [--- l’an de ] l’incarnation du Seigneur [---]

Commentaire

Quoique très fragmentaire – seuls six mots sont visibles – cette inscription contient deux formules qui ont permis d’identifier son contexte. En effet, l’expression semper augustus de la première ligne constitue une partie du titre de Frédéric II, comme l’a remarqué Clermont-Ganneau en suivant une suggestion de M. Schlumberger. Frédéric II de Hohenstaufen (1194-1250) était dit empereur auguste des Romains, roi de Jérusalem et de Sicile, Fredericus Dei gratia Romanorum imperator semper augustus, Jerusalem et Sicilie rex. La deuxième ligne donne à lire une formule de datation : anno Dominice incarnationis. On peut interpréter la première barre verticale comme un élément de la lettre N de Dominice. Cette expression se trouve tout au long du xiie dans le cartulaire du Saint-Sépulcre.

L’identification de Frédéric II permit à Clermont-Ganneau de conclure que l’inscription n’était certainement pas funéraire, mais devait davantage être une mention de construction ou une dédicace d’un édifice important. Elle permit également de fournir une date approximative du texte. Frédéric II devint roi de Jérusalem par son mariage, en novembre 1225, avec Isabelle-Yolande de Brienne, héritière du trône duquel il évinça son beau-père Jean de Brienne. Il n’y séjourna que pendant la croisade de 1228-1229. Jaffa était l’un des ports croisés utilisés pour l'acheminement des biens et des personnes et le centre administratif d’une des principales seigneuries La ville ayant été détruite en 1197, l’empereur entreprit des travaux de fortification et les murs de la citadelle furent relevés de novembre-décembre 1228 à janvier 1229. C’est également là, le 18 février 1229, que Frédéric II conclut un traité avec le sultan d’Égypte Al-Malik al-Kâmil, une trêve de dix ans prévoyant la restitution de Jérusalem et d’un couloir aboutissant à Jaffa. Que commémorait exactement l’inscription ? Il est impossible d’y répondre, mais le soin apporté à la gravure, qui d’après le dessin était fine, avec une écriture élégante, faite de pleins et de déliés, et le type de caractères utilisés confirment la datation.

L’histoire de ce fragment a été renouvelée et confortée par l’analyse d’une autre inscription de Jaffa, mais en arabe, par Moshe Sharon en 2016. Ce bloc de pierre trouvé dans un des murs du sanctuaire de Shaykh Murād près de Jaffa, mentionné dès 1932, n’avait pas jusque-là attiré l’attention car on le pensait d’époque ottomane. Il porte pourtant lui aussi la titulature de Frédéric II et est l’unique témoignage épigraphique croisé écrit en arabe. Réparti sur quatre lignes, le texte a été recomposé ainsi (grâce au préambule d’une lettre de l’empereur de 1229 en arabe) : [L’auguste César], Empereur de Rome, Fré[déric, victorieux par (l’aide de) Dieu, roi d’Allemagne] et de Lombardie, et de Toscane, et d’Italie, et [de Longobardie, et de Calabre et de Sicile et du Royaume syrien] de Jérusalem; défenseur du pape de Rome, protecteur de la communauté des Chrétiens [au mois de février (?) de l’an mil] deux cent vingt-neuf de l’incarnation de notre Seigneur Jésus-Christ…

Quel lien unit les deux textes ? Il est difficile d’être aussi affirmatif que Moshe Sharon et de dire qu’il s’agit d’inscriptions « jumelles », bien que cela soit très tentant. Certes, elles ont été retrouvées dans les ruines de la Jaffa médiévale, probablement lors de la reconstruction des murs modernes au début du xixe siècle, et appartiennent sans aucun doute au même contexte. Toutefois, le type de pierre et les techniques de gravure employées différent profondément : l’inscription en arabe a été sculptée en relief sur un bloc de marbre gris (35.6 × 51 (56 cm max.) × 25 cm), peut-être le linteau monumental au-dessus de la porte de la citadelle comme le suggère Moshe Sharon, alors qu’on a gravé le texte latin en creux sur une plaque fine. Si elles avaient le même commanditaire et portaient peut-être les mêmes informations (au moins la titulature et une date), ces deux pierres ne s’adressaient pas au même public et n’avaient ni les mêmes fonctions, ni les mêmes supports.

Ajoutons pour finir que Clermont-Ganneau signale une autre « prétendue » inscription, un fragment intégré dans le mur de la ville dont on lui a parlé, et qui d’après la description qui lui a été faite, lui paraît médiéval. Il n’a pu vérifier les faits et se demande s’il ne s'agit pas d'un fragment qu’il a trouvé en en 1881, se référant au roi d'Angleterre.