​ Ardentes, église Saint-Martin ​- ​Inscription commentant l’image de l’Agneau et mention d’artiste  ​  ​


Ardentes, église Saint-Martin ​- ​Inscription commentant l’image de l’Agneau et mention d’artiste

Corpus des Inscriptions de la France Médiévale, vol. 25, nº1 ​  ​


Description générale

Inscription funéraire pour un laïc. 
Pierre.  État de conservation : moyen. Inscription découverte en octobre 1977 lors de travaux d’urbanisme dans la rue E. Audonnet près de l’église de Saint-Satur. Elle est actuellement conservée chez un particulier[2].
Datation : milieu xiie siècle [datation paléographique qui semble correspondre à la datation stylistique de la sculpture[1]].

Bibliographie

D’après l’original vu en place en décembre 2009.
Chalmel, « Histoire de Touraine », t. III, 1828, p. 233 [texte d’après l’original et commentaire] ; Hubert, Le Bas-Berry, t. I, 1902, p. 24 [texte d’après l’original et dessin].

Description paléographique

Disposition horizontale sans cadre ni réglure, sur plusieurs claveaux ; quatre lignes à gauche, trois lignes à droite. Écriture très irrégulière, notamment dans les modules ; mélange entre des formes capitales (D, E, N) et des onciales nombreuses et très arrondies (E, M, T, C, G) ; deux lettres onciales de forme minuscule (Q de quam et H de hoc). En l’état actuel de l’inscription, on ne repère ni enclavement, ni conjonction. Abréviations : DI surmonté d’un tilde pour Dei (si l’on suit notre restitution) ; suspension à l’initiale pour per et pro (sans signe distinctif apparemment) ; suspension de la finale –us sous forme d’apostrophe pour salus ; suspension de la nasale M par un tilde droit dans totum. Aucun signe de ponctuation ; aucune trace de décor.





Édition imitative


Sur les deux claveaux placés à gauche de l’Agneau :
1 ​HOSTIA ​FIT ​VERA ​D[.] ​A
2 ​AGNVS ​ET ​IN ​CRVCIS ​AR ​
3 ​PENDENS ​MACTATVR ​P ​QV
4 ​AM ​SAL ​ESSE ​PBATVR ​
Sur les deux claveaux placés à droite de l’Agneau :
1 ​HOC ​OPVS ​[.]ERNAVDI ​TOTV ​CO
2 ​NMITERE ​LA[.]DI ​DEBES ​QVISQV
3 ​IS ​ERIS ​QVI ​PORTAS ​INGREDIERIS ​

Sur les deux claveaux placés à gauche de l’Agneau :
1 ​HOSTIA ​FIT ​VERA ​D[.] ​A
2 ​AGNVS ​ET ​IN ​CRVCIS ​AR ​
3 ​PENDENS ​MACTATVR ​Ꝑ ​QV
4 ​AM ​SAL ​ESSE ​ꝒBATVR ​

Sur les deux claveaux placés à droite de l’Agneau :
1 ​HOC ​OPVS ​[.]ERNAVDI ​TOTV ​CO
2 ​NMITERE ​LA[.]DI ​DEBES ​QVISQV
3 ​IS ​ERIS ​QVI ​PORTAS ​INGREDIERIS ​

Sur les deux claveaux placés à gauche de l’Agneau :
1 ​HOSTIA ​FIT ​VERA ​D[.] ​A
2 ​AGNVS ​ET ​IN ​CRVCIS ​AR ​
3 ​PENDENS ​MACTATVR ​ ​QV
4 ​AM ​SAL ​ESSE ​BATVR ​
Sur les deux claveaux placés à droite de l’Agneau :
1 ​HOC ​OPVS ​[.]ERNAVDI ​TOTV ​CO
2 ​NMITERE ​LA[.]DI ​DEBES ​QVISQV
3 ​IS ​ERIS ​QVI ​PORTAS ​INGREDIERIS ​

Légende

Violet : caractères allographes.



Sur les deux claveaux placés à gauche de l’Agneau :
1 ​HOSTIA ​FIT ​VERA ​D[.] ​A
2 ​AGNVS ​ET ​IN ​CRVCIS ​AR ​
3 ​PENDENS ​MACTATVR ​ ​QV
4 ​AM ​SAL ​ESSE ​BATVR ​
Sur les deux claveaux placés à droite de l’Agneau :
1 ​HOC ​OPVS ​[.]ERNAVDI ​TOTV ​CO
2 ​NMITERE ​LA[.]DI ​DEBES ​QVISQV
3 ​IS ​ERIS ​QVI ​PORTAS ​INGREDIERIS ​

Légende

Bleu : mot abrégé.
Violet : signe d'abréviation.



Sur les deux claveaux placés à gauche de l’Agneau :
1 ​HOSTIA ​FIT ​VERA ​D[.] ​A
2 ​AGNVS ​ET ​IN ​CRVCIS ​AR ​
3 ​PENDENS ​MACTATVR ​Ꝑ ​QV
4 ​AM ​SAL ​ESSE ​ꝒBATVR ​
Sur les deux claveaux placés à droite de l’Agneau :
1 ​HOC ​OPVS ​[.]ERNAVDI ​TOTV ​CO
2 ​NMITERE ​LA[.]DI ​DEBES ​QVISQV
3 ​IS ​ERIS ​QVI ​PORTAS ​INGREDIERIS ​

Légende

Bleu : enclavement.
Orange : conjonction.
Violet : entrelacement.



Sur les deux claveaux placés à gauche de l’Agneau :
1 ​HOSTIAFITVERAD[.]A
2 ​AGNVSETINCRVCISAR
3 ​PENDENSMACTATVRꝐQV
4 ​AMSALESSEꝒBATVR
Sur les deux claveaux placés à droite de l’Agneau :
1 ​HOCOPVS[.]ERNAVDITOTVCO
2 ​NMITERELA[.]DIDEBESQVISQV
3 ​ISERISQVIPORTASINGREDIERIS

Légende

Représentation des espaces entre les lettres tels qu'ils sont dans l'inscription.
Violet : signalement des figures qui s'interposent avec le texte.



Édition normalisée

Hostia fit vera D(e)[i] agnus, et in crucis ar<a>
pendens mactatur p(er) quam sal(us) esse p(ro)batur.
Hoc opus [H]ernaudi totu(m) conmitere la[u]di
debes, quisquis eris qui portas ingredieris.


Traduction

L’Agneau de Dieu se fait victime véritable et, suspendu sur l’autel de la Croix, il est immolé. Par elle est prouvé qu’est le salut. Cette œuvre, tu dois l’attribuer tout entière aux mérites d’Hernaud, qui que tu sois, toi qui franchis ces portes.

Commentaire

Le texte forme quatre hexamètres léonins corrects malgré les flottements dans la quantité des diphtongues ; les rimes léonines sont riches pour chaque vers. L’édition critique présentée ici s’appuie principalement sur l’original ; le dessin fournit par É. Hubert en 1902 permet de restituer le H du nom de l’artiste et le U de laudi dans la signature. Il présente en revanche une interprétation très libre de la première ligne avec la lecture du mot nostra. Sur les clichés, on lit sans difficulté la lettre D puis une lacune d’une lettre surmontée d’un signe d’abréviation, d’où notre lecture du mot Dei. La présence de la lettre A en fin de ligne ne fait aucun doute, mais il convient davantage d’y lire la fin du mot ara, tracée à la ligne inférieure, qu’une éventuelle abréviation de nostra (qui fausserait encore davantage la métrique).

Si les deux parties de l’inscription sont très différentes, leur réunion dans un objet commun s’explique par la situation du texte au-dessus de la porte de l’église. Le message épigraphique constitue en effet une réflexion sur l’eucharistie (assez proche dans son contenu de I Pe I, 18-19 et He IX, 14) et une invitation à la participation au sacrement ; il dépasse ainsi très largement le commentaire sur l’image pour renvoyer en réalité à l’église dans son ensemble et aux activités liturgiques qui s’y déroulent. La signature d’Hernaud doit être comprise en ce sens puisqu’elle renvoie à l’œuvre dans sa globalité (opus...totum) et s’adresse à tous les fidèles qui entrent dans l’église (quisquis eris qui portas ingredieris), reprenant pour ce faire le vocabulaire que l’on trouve fréquemment en épigraphie dans les textes placés à la porte des lieux de culte[3]. Le mot hostia et la référence à l’Agnus Dei (Jn I, 29) se retrouvent fréquemment dans les inscriptions du Moyen Âge mais la formulation d’Ardentes n’en reste pas moins originale. Son thème, celui de la rédemption de l’humanité par le sacrifice du Christ, est répandu dans les écrits médiévaux mais assez peu en revanche dans les inscriptions ; la nappe d’autel donnée par Berthe, petite-fille de Louis le Pieux, à la cathédrale Saint-Étienne de Lyon, constitue à ce titre un exemple au contenu très proche de ce que l’on peut lire à Ardentes[4].

Malgré le développement de la seconde partie de l’inscription, il est bien difficile d’identifier Hernaud, inconnu par ailleurs en dehors de cette inscription. S’agit-il du sculpteur ? du commanditaire ? de l’architecte ? Que désigne l’expression opus...totum ? le portail ? la sculpture représentant l’agneau ? le flanc nord de l’église ? À défaut de pouvoir répondre à ces questions, signalons qu’il est peu courant de trouver des signatures en vers dans la documentation médiévale française[5].


L'église de Saint-Martin d'Ardentes

L’église Saint-Martin d’Ardentes dépendait au Moyen Âge de l’abbaye de Déols, et ce depuis 1117, date a` laquelle l’archevêque de Bourges céda ses droits sur la paroisse au profit des moines de Déols. Les liens avec l’abbaye de Déols sont sensibles notamment au niveau artistique dans la décoration de la partie nord de l’église, datant probablement du milieu du xiie siècle[6].




[1] Le côté nord de l’église Saint-Martin d’Ardentes daterait du milieu du xiie siècle. Il est visiblement postérieur au reste de la construction. Duret  ​P., La sculpture romane de l’abbaye de Déols, Poitiers, mémoire de DEA, 1987, p. 209-210.
[2] Nous avons le plaisir de remercier très chaleureusement messieurs Albert Hesse et Guy Cobolet pour leur aide et leur recherche fructueuse en vue de retrouver cette inscription.
[3] . Voir à ce sujet Favreau  ​R., « Le thème épigraphique de la porte » Cahiers de civilisation médiévale, t. 34, 1991, p. 267- 279. La formule quisquis eris apparaît pour la première fois dans l’inscription funéraire de l’abbé Pierre, dans laquelle elle était également placée en début d’hexamètre. Ce personnage dut décéder peu après 1168 ; un fragment de son gisant est conservé au Musée archéologique de Dijon (CIFM 20, 58, p. 54-55, pl. IX, fig. 17).
[4] CIFM 17, Rhône 17, p. 80-81 ; voir Favreau  ​R., « L’épigraphie comme source pour la liturgie » Vom Quellenwert der Inschriften. Vorträge und Berichte der Fachtagung Esslingen 1990, Heidelberg, 1992, p. 98-101.
[5] On peut cependant citer l’inscription qui accompagnait la statue de Marthe sur le tombeau monumental de saint Lazare à Autun ; CIFM 19, Saône-et-Loire 10, p. 64-66 et fig. 53-73.
[6] Hubert, Le Bas-Berry, t. I, 1902, p. 25-26 ; Crozet ​R., L’art roman en Berry, Paris, 1932, p. 268-272.