​ Châteauroux, Musée Bertrand ​- ​Inscription pour l'image du Christ en gloire et les arts libéraux  ​  ​


Châteauroux, Musée Bertrand ​- ​Inscription pour l'image du Christ en gloire et les arts libéraux

Corpus des Inscriptions de la France Médiévale, vol. 25, nº4 ​  ​


Description générale

Inscription funéraire à caractère tumulaire. 
Pierre.  Champ épigraphique de l’inscription conservée : 195 cm de long. Taille inconnue pour les autres textes . Localisation originale : Déols, église abbatiale, extérieur, porte nord, linteau, tympan et voussures. ​ Inscription du linteau déplacée au Musée de Châteauroux ; les autres textes ont disparu.
Datation : milieu du xiie siècle [datation paléographique qui correspond à la date de sculpture].

Bibliographie

Lecture d’après l’original pour la partie conservée; à partir des corrections de Jean Hubert à la lecture de l’abbé Dubouchat pour les inscriptions perdues[1].
Tramblais, Esquises pittoresques, 1882, p. 331-332 [texte] ; Beulay, Catalogue du Musée de Châteauroux, 1910, p. 181, nº 1064 [texte].

Description paléographique

Disposition horizontale sur une ligne pour le linteau ; inconnue pour les autres textes. Inscription indépendante sur le linteau ; sur une banderole pour chacune des inscriptions suivantes. Lettres gravées en creux. Hauteur moyenne des lettres pour le linteau : 7 cm. Écriture très majoritairement capitale, de module irrégulier et de tracé fin. Quelques onciales : R de miser, R, E et G de regione, D de patriam. A à traverse brisée ; N à barre transversale accrochée au milieu des hastes. Graphie élégante malgré la simplicité du ductus. Lettres conjointes : Q et V dans qui, V et A dans captivaris. Dans l’inscription qui subsiste, on ne repère ni abréviation, ni ponctuation, ni décor.





Édition imitative


Sur le linteau, au-dessous de la représentation du Christ dans une mandorle :
1 ​QVI ​CAPTIVARIS ​MISER ​IN ​MISERA ​REGIONE ​AD ​PATRIAM ​R[--- ​
Sur le linteau, au-dessous de la représentation du Christ dans une mandorle :
1 ​AVRI ​GRATA ​SONENT ​SICVT ​SACRA ​DICTIO ​PARTES ​
2 ​PER ​TE ​DOCTRINE ​RELIQVE ​NOSCANTVR ​ET ​ARTES ​[2]
Dans la banderole de la main gauche présentée à la Dialectique :
1 ​ALTERAQVE ​DOCVIT ​SVCCINTE ​FILIA ​MONSTRA ​
2 ​NOTAQVE ​SINT ​NOSTRIS ​PER ​TE ​SOPHISMATA ​NOSTRA ​[3]

Sur le linteau, au-dessous de la représentation du Christ dans une mandorle :
1 ​QVI ​CAPTIVARIS ​MISER ​IN ​MISERA ​RGIONE ​A ​PATRIAM ​R[--- ​

Sur le linteau, au-dessous de la représentation du Christ dans une mandorle :
1 ​AVRI ​GRATA ​SONENT ​SICVT ​SACRA ​DICTIO ​PARTES ​
2 ​PER ​TE ​DOCTRINE ​RELIQVE ​NOSCANTVR ​ET ​ARTES ​[2]

Dans la banderole de la main gauche présentée à la Dialectique :
1 ​ALTERAQVE ​DOCVIT ​SVCCINTE ​FILIA ​MONSTRA ​
2 ​NOTAQVE ​SINT ​NOSTRIS ​PER ​TE ​SOPHISMATA ​NOSTRA ​[3]

Sur le linteau, au-dessous de la représentation du Christ dans une mandorle :
1 ​QVI ​CAPTIVARIS ​MISER ​IN ​MISERA ​RGIONE ​A ​PATRIAM ​R[--- ​
Sur le linteau, au-dessous de la représentation du Christ dans une mandorle :
1 ​AVRI ​GRATA ​SONENT ​SICVT ​SACRA ​DICTIO ​PARTES ​
2 ​PER ​TE ​DOCTRINE ​RELIQVE ​NOSCANTVR ​ET ​ARTES ​[2]
Dans la banderole de la main gauche présentée à la Dialectique :
1 ​ALTERAQVE ​DOCVIT ​SVCCINTE ​FILIA ​MONSTRA ​
2 ​NOTAQVE ​SINT ​NOSTRIS ​PER ​TE ​SOPHISMATA ​NOSTRA ​[3]

Légende

Violet : caractères allographes.



Sur le linteau, au-dessous de la représentation du Christ dans une mandorle :
1 ​QVI ​CAPTIVARIS ​MISER ​IN ​MISERA ​RGIONE ​A ​PATRIAM ​R[--- ​
Sur le linteau, au-dessous de la représentation du Christ dans une mandorle :
1 ​AVRI ​GRATA ​SONENT ​SICVT ​SACRA ​DICTIO ​PARTES ​
2 ​PER ​TE ​DOCTRINE ​RELIQVE ​NOSCANTVR ​ET ​ARTES ​[2]
Dans la banderole de la main gauche présentée à la Dialectique :
1 ​ALTERAQVE ​DOCVIT ​SVCCINTE ​FILIA ​MONSTRA ​
2 ​NOTAQVE ​SINT ​NOSTRIS ​PER ​TE ​SOPHISMATA ​NOSTRA ​[3]

Légende

Bleu : mot abrégé.
Violet : signe d'abréviation.



Sur le linteau, au-dessous de la représentation du Christ dans une mandorle :
1 ​QVI ​CAPTIVARIS ​MISER ​IN ​MISERA ​RGIONE ​A ​PATRIAM ​R[--- ​
Sur le linteau, au-dessous de la représentation du Christ dans une mandorle :
1 ​AVRI ​GRATA ​SONENT ​SICVT ​SACRA ​DICTIO ​PARTES ​
2 ​PER ​TE ​DOCTRINE ​RELIQVE ​NOSCANTVR ​ET ​ARTES ​[2]
Dans la banderole de la main gauche présentée à la Dialectique :
1 ​ALTERAQVE ​DOCVIT ​SVCCINTE ​FILIA ​MONSTRA ​
2 ​NOTAQVE ​SINT ​NOSTRIS ​PER ​TE ​SOPHISMATA ​NOSTRA ​[3]

Légende

Bleu : enclavement.
Orange : conjonction.
Violet : entrelacement.



Sur le linteau, au-dessous de la représentation du Christ dans une mandorle :
1 ​QVICAPTIVARISMISERINMISERARGIONEAPATRIAMR[---
Sur le linteau, au-dessous de la représentation du Christ dans une mandorle :
1 ​AVRIGRATASONENTSICVTSACRADICTIOPARTES
2 ​PERTEDOCTRINERELIQVENOSCANTVRETARTES[2]
Dans la banderole de la main gauche présentée à la Dialectique :
1 ​ALTERAQVEDOCVITSVCCINTEFILIAMONSTRA
2 ​NOTAQVESINTNOSTRISPERTESOPHISMATANOSTRA[3]

Légende

Représentation des espaces entre les lettres tels qu'ils sont dans l'inscription.
Violet : signalement des figures qui s'interposent avec le texte.



Édition normalisée

Qui captivaris miser in misera regione
ad patriam r[editus per me patet ex Babylone] .
Auri grata sonent sicut sacra dictio partes.
Per te doctrine relique noscantur et artes[2]
alteraque docuit succinte filia monstra
notaque sint nostris per te sophismata nostra[3].


Traduction

Toi, misérable captif en une misérable contrée,
Il est clair que par moi tu reviendras de Babylone vers ta patrie.
Que les phrases résonnent comme un discours sacré agréable à l’oreille.
Que, par toi, soient connus les autres disciplines et les arts.
Montre brièvement ce qu’enseigna la seconde fille,
Et que, par toi, les nôtres connaissent nos sophismes.

Commentaire

D’après les restitutions de Jean Hubert (qui corrige très justement les relevés de l’abbé Dubouchat), les textes tracés au tympan forment six hexamètres caudati, c’est-à-dire groupés en distiques par la rime finale. Le O de sophismata devrait être bref, mais le O long est indispensable pour retrouver un spondée au quatrième pied. On ne repère pas de rime léonine.

Le texte du linteau qui semble commenter l’image du Christ en gloire représenté au tympan est inspiré du livre du prophète Jérémie[4]. Si l’emploi de ce texte est assez peu fréquent dans l’iconographie comme dans la liturgie, son inscription à l’entrée de l’église n’est sans doute pas très éloignée dans son objectif de la citation des passages scripturaires évoquant la porte au seuil d’un édifice de culte, pratique courante au Moyen Âge central[5]. Le retour de Babylone, de l’exil, allégorie de la vie terrestre semée de souffrances et de tourments, n’est possible que par le Christ représenté au-dessus de la porte et par la fréquentation des sacrements dispensés dans l’église. L’expression per me du vers 2 pourrait renvoyer implicitement à la citation de Jn XIV, 6 : ego sum via et veritas et vita nemo venit ad Patrem nisi per me, dont l’incipit accompagne fréquemment l’image du Christ en gloire à l’entrée ou à l’abside de l’église[6]. Les deux autres inscriptions étaient situées au sommet de la deuxième voussure qui représentait, selon J. Hubert, les sciences et les arts personnifiés par neuf petites statues. C’est la Philosophie qui occupait le sommet de la voussure et qui présentait à la Grammaire et à la Dialectique les textes sur les banderoles ; la formulation des vers est lourde et il ne semble pas que l’on puisse retrouver des expressions comparables dans les inscriptions déjà recensées par le CIFM. On notera le balancement évident entre le per me du linteau et le per te de l’inscription destinée à la Grammaire.

Le thème des arts libéraux est assez peu présent dans les inscriptions médiévales. L’expression septem artes ne semble apparaître que trois fois dans la documentation épigraphique française[7] ; ce sont davantage les disciplines du trivium (grammaire, dialectique, rhétorique) et du quadrivium (arithmétique, musique, géométrie, astronomie) qui sont mentionnées individuellement ou par groupe ; les noms de l’astronomie et la géométrie sont par exemple gravés au-dessus de deux statues de femme, datant du milieu du xiie siècle, conservées au Musée Rolin d’Autun[8].

L’abbaye Notre-Dame de Déols (dite aussi du Bourg-Dieu) fut fondée le 10 septembre 917 par le prince de Déols Ebbe. Après une première dédicace en 920, on décida rapidement d’agrandir l’édifice, nouvellement consacré en 1022, avant une nouvelle phase de travaux d’agrandissement. Le chœur fut alors consacré par le pape Pascal II en 1107. La nef, le transept et le narthex datent du milieu du xiie siècle. La sculpture de la porte est également datée par les historiens de l’art du milieu du xiie siècle par le style, par la paléographie de l’inscription, mais aussi par des circonstances historiques rapportées par Rigord[9].




[1] Le texte de l’abbé Dubouchat présentait des variantes de lecture assez minimes qui affectaient cependant la correction prosodique ; c’est pourquoi on a préféré les restitutions de Jean Hubert pour les textes disparus.
[2] L’abbé Dubouchat donne : Auri grata sonent sunt sacra dictio patres / Per te doctrina reliqua noscuntur et artes.
[3] Id. : Altera que docent sic sit ne filia monstra / Note que sint nostris per te sophismata nostra.
[4] Jr XLVI, 26-27 : Et dabo eos in manu quaerentium animam eorum et in manu Nabuchodonosor regis Babylonis et in manu servorum ejus et post haec habitabitur sicut diebus pristinis ait Dominus ; et tu ne timeas serve meus Iacob et ne paveas Israhel quia ecce ego salvum te faciam de longinquo et semen tuum de terra captivitatis suae et revertetur Iacob et quiescet et prosperabitur et non erit qui exterreat eum.
[5] Favreau  ​R., « Le thème épigraphique de la porte », Cahiers de civilisation médiévale, p. 267-279 ; voir aussi Kendall, The Allegory of the Church, 1998, p. 96-98.
[6] Favreau  ​R., « Des inscriptions pour l’image du Christ », L’image légendée. Actes du colloque du RILMA (Paris, INHA, 17-18 octobre 2008), Turnhout, 2010, p. 169-185. Le passage de Jérémie qui sert de base à l’inscription du linteau a été assez peu commenté au Moyen Âge ; les développements les plus riches se trouvent chez Raban Maur qui voit dans l’exil à Babylone et le retour la démonstration de la miséricorde de Dieu et de la confiance qu’elle impose, ce qui s’applique parfaitement à l’image de Déols (Raban Maur, Commentaires sur Jérémie, livre 1, chap. 65-69 ; PL 167, col. 1583 et sq.).
[7] Voir l’épitaphe de Gilbert de La Porrée, mort en 1154, à l’église Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers (CIFM I-1, 69, p. 74-75), l’inscription funéraire pour le moine Humbert, au prieuré Saint-Pierre de Correns, au milieu du XIe siècle (CIFM 14, Var 2, p. 155-157), et la mosaïque disparue dans le chœur de l’église Saint-Rémi à Reims (DIDRON  ​A.-N., « Carrelages historiés », Annales archéologiques, X, 1850, p. 64-66).
[8] CIFM 19, Saône-et-Loire 11, p. 68-69, pl. XXXII-XXXIII, fig. 74-77.
[9] Hubert, « L’abbaye Notre-Dame de Déols », 1927, p. 10.