​ Bourges, Musée du Berry ​- ​Inscription funéraire pour Emmo  ​  ​


Bourges, Musée du Berry ​- ​Inscription funéraire pour Emmo

Corpus des Inscriptions de la France Médiévale, vol. 26, nº70 ​  ​


Description générale

Inscription funéraire pour un enfant. 
Stèle ou plus certainement plate-tombe. ​ Pierre.  Dimensions de la pierre : 50 de largeur en haut ; 39,5 de largeur en basx 112 de hauteur cm. État de conservation : médiocre. Inscription conservée, mais déplacée. Découverte en 1981, à Saint-Outrille-du-Château, au nord de l’ancienne église et à proximité de la crypte Sainte-Blandine, dans un espace qui peut être considéré comme un cloître. ​ Localisation actuelle : réserves du Musée (caves de l’Hôtel Lallemant). Gravée en creux (la gravure est profonde).
Datation : fin VIIIe-IXe siècle [datation paléographique et linguistique].

Bibliographie

Texte d’après l’original vu en place le 13 juin 2012.
Jenn, Ruffier, «  Les plates-tombes de Saint-Outrille-du-Château  », 1986, p. 46-48 [texte, traduction, commentaire, illustration] .

Description paléographique

Disposition horizontale sur neuf lignes. Lettres capitales très droites. Les C sont carrés, les hastes verticales des M sont très écartées, les Q et les O sont arrondis, les barres horizontales des E ont approximativement la même dimension, les T ont des empattements. Module étroit. Écriture soignée pour les deux premières lignes, plus maladroite dans la suite du texte. Hauteur des lettres : 3,8 à 6,5 cm (taille du H : 5,4 cm). Traces d’une réglure simple parfois double. Absence de ponctuation, d’abréviation et de liaison de lettres.





Édition imitative


1 ​HIC ​REQVIESCIT ​
2 ​EMMO[---] NO ​
3 ​AB ​INFANCIA ​
4 ​SVA ​MIGRA
5 ​VIT ​A ​SECVLO ​
6 ​INFANS ​QVI ​
7 ​MERVIT ​
8 ​SISTERE ​IN ​
9 ​ARHE ​POLI ​

1 ​HI ​REQVIESIT ​
2 ​EMMO[---] NO ​
3 ​AB ​INFANIA ​
4 ​SVA ​MIGRA
5 ​VIT ​A ​SEVLO ​
6 ​INFANS ​QVI ​
7 ​MERVIT ​
8 ​SISTERE ​IN ​
9 ​ARHE ​POLI ​

1 ​HI ​REQVIESIT ​
2 ​EMMO[---] NO ​
3 ​AB ​INFANIA ​
4 ​SVA ​MIGRA
5 ​VIT ​A ​SEVLO ​
6 ​INFANS ​QVI ​
7 ​MERVIT ​
8 ​SISTERE ​IN ​
9 ​ARHE ​POLI ​

Légende

Violet : caractères allographes.



1 ​HI ​REQVIESIT ​
2 ​EMMO[---] NO ​
3 ​AB ​INFANIA ​
4 ​SVA ​MIGRA
5 ​VIT ​A ​SEVLO ​
6 ​INFANS ​QVI ​
7 ​MERVIT ​
8 ​SISTERE ​IN ​
9 ​ARHE ​POLI ​

Légende

Bleu : mot abrégé.
Violet : signe d'abréviation.



1 ​HI ​REQVIESIT ​
2 ​EMMO[---] NO ​
3 ​AB ​INFANIA ​
4 ​SVA ​MIGRA
5 ​VIT ​A ​SEVLO ​
6 ​INFANS ​QVI ​
7 ​MERVIT ​
8 ​SISTERE ​IN ​
9 ​ARHE ​POLI ​

Légende

Bleu : enclavement.
Orange : conjonction.
Violet : entrelacement.



1 ​HIREQVIESIT
2 ​EMMO[---] NO
3 ​ABINFANIA
4 ​SVAMIGRA
5 ​VITASEVLO
6 ​INFANSQVI
7 ​MERVIT
8 ​SISTEREIN
9 ​ARHEPOLI

Légende

Représentation des espaces entre les lettres tels qu'ils sont dans l'inscription.
Violet : signalement des figures qui s'interposent avec le texte.



Édition normalisée

Hic requiescit Emmo[---]no ; ab infancia sua migravit a seculo infans qui meruit sistere in ar{c}he poli.


Traduction

Ici repose Emmo[---]. Dès l’enfance il quitta le siècle, tout jeune enfant qui mérita de reposer dans la cité céleste.

Commentaire

Cette inscription a été rédigée à la mort d’un jeune enfant, comme y insiste le texte à deux reprises (ab infancia, infans). Il est identifié par le nom Emmo suivi d’une lacune, ce qui ne permet pas de savoir si ce nom est complet. On peut supposer qu’il s’agissait d’un diminutif hypocoristique de ce prénom (Emmonino par exemple), étant donné le jeune âge du défunt. En tous les cas, Marie-Thérèse Morlet cite le prénom Emmo neuf fois depuis 627 jusqu’à 978[1].

Le texte contient plusieurs formules, certaines formant des vers. Hic requiescit et migravit a seculo sont des expressions communes aux autres épitaphes de cette collection. Hic requiescit est une expression formulaire déjà présente dans les inscriptions chrétiennes, dont l’emploi est constant tout au long de l’époque médiévale, bien que hic jacet lui soit préféré au Moyen âge central. Migravit a seculo peut se lire dans des textes épigraphiques contemporains ou plus tardifs, telle l’épitaphe d’Odon, premier abbé de Saint-Savin qui meurt en 8531, ou les inscriptions funéraires d’Ermengarde et Ermembert, deux laïcs, à Niort[2]. La formule qui meruit sistere in arhe poli est plus rare. Elle forme un pentamètre avec le nom infans qui précède. La graphie arhe au lieu de arce traduit la généralisation de la prononciation ch. La périphrase arx poli, d’origine virgilienne, est remise à l’honneur par Alcuin dans les inscriptions métriques qu’il a composées, par exemple à Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers avant 804[3]. Ces rapprochements ainsi que l’analyse paléographique permettent de proposer une fourchette de datation comprise entre la fin du VIIIe siècle et le IXe siècle.

Ces éléments formulaires versifiés, mêlés à la prose du reste de l’épitaphe, relève du procédé du prosimètre. Comme nombre des inscriptions de cette série, on relève une nette opposition entre le travail de rédaction textuelle marqué par une recherche formulaire et métrique, et la réalisation matérielle plus ou moins bien executée.

L’inscription occupe les deux tiers de la pierre, laissant le tiers inférieur libre, mais le texte est à considérer comme complet. C’est pour ces raisons que Françoise Jenn fait l’hypothèse d’une stèle (la partie non inscrite aurait pu être dans la terre) plutôt que d’une plate-tombe. Il est difficile de l’affirmer, la partie basse d’une stèle destinée à être enterrée étant en général plus épaisse et moins bien préparée. Il s’agit de la seule pierre de l’ensemble de la collection à présenter de telles caractéristiques.


Présentation du site et informations additionnelles

Le Musée du Berry possède une collection de vingt-cinq inscriptions funéraires du haut Moyen Âge, gravées essentiellement sur des plates-tombes, mais aussi sur des couvercles de sarcophage et peut-être des stèles. Elles proviennent pour la plupart de Saint-Outrille-du-Château où se trouvait un ensemble monastique urbain de Bourges, fondé probablement avant le VIe siècle. Le monastère reçut les sépultures de cinq évêques entre la fin du VIe siècle et le premier quart du VIIe siècle ; son rôle déclina par la suite et seul Étienne y encore est inhumé vers 830. Le nombre particulièrement élevé de ces épitaphes semble indiquer le statut particulier du site à l’époque. La découverte de ces textes épigraphiques s’est faite en quatre étapes, plus ou moins bien documentées pour les plus anciennes : la première avant 1870, puis en 1874, en 1934 et en 1981 lors de fouilles de sauvetage. Ces inscriptions sont classées ici par ordre de découverte la plus récente, qui est le classement adopté par Françoise Jenn et Oliver Ruffier dans leur article très détaillé sur lequel s’appuient ces notices[4]. La mission du CIFM dans les réserves du Musée du Berry à Bourges a permis de mettre au jour un nouveau fragment (notice n°95), ainsi que de découvrir une plate-tombe bûchée (non publiée puisqu’elle est désormais anépigraphe).


Il est difficile de dater avec précision ces textes, la confrontation de plusieurs critères permet de les attribuer aux époques mérovingienne (notices n°84-88 selon Olivier Ruffier) ou carolingienne, et peut-être certains d’entre eux relèvent-ils davantage du RICG que du CIFM. Sans être assuré de la datation haute et afin de respecter la cohérence de l’ensemble, il est préférable d’éditer toute la collection. Pour mieux comprendre la production épigraphique de ces périodes, nous renvoyons le lecteur au volume Hors Série n°1 du CIFM consacré aux épitaphes carolingiennes du Centre Ouest de la France (Poitou, Touraine, Anjou, Maine)[5].


Les défunts commémorés par ces inscriptions sont des hommes, des femmes et des enfants, dont le statut social n’est jamais mentionné ; on ne sait donc s’il s’agit de clercs ou de laïcs. Ces personnages sont, sans nul doute, des lettrés appartenant à une élite cultivée. Leur lien avec Saint-Outrille n’est pas connu. Les similitudes repérables dans la dizaine d’épitaphes découvertes en 1981 laissent penser à l’existence d’un atelier ayant travaillé pour la nécropole de Saint-Outrille, sur une période de temps assez brève. La composition formulaire de cette série a été étudiée par Cécile Treffort[6]. Les rédacteurs, qui pouvaient être les lapicides eux-mêmes, avaient sans doute à leur disposition plusieurs membres de phrases, dont certains étaient versifiés, et ils les associaient comme ils l’entendaient.




[1] Morlet, Les noms de personne sur le territoire de l’ancienne Gaule, I, 1968, p. 85.
[2] CIFM, I-3, n°14 Deux-Sèvres, p. 143-145, pl. L, fig. 97-98. CIFM, I-3, n°15 Deux-Sèvres, p. 146-147, pl. LI, fig. 99-100.
[3] Pour l’autel Saint-Étienne (CIFM, I-1, n°38, p. 42-43), pour l’épitaphe d’Aper (CIFM, I-1, n°44, p. 46-48), pour l’oratoire Saint-Lambert (CIFM, I-1, n°47, p. 49-50), pour l’église Saint-Michel (CIFM, I-1, n°48, p. 50-51).
[4] Jenn, Ruffier, « Les plates-tombes de Saint-Outrille-du-Château », 1986, p. 33-74.
[5] Voir aussi Treffort C., Mémoires carolingiennes. L’épitaphe entre célébration mémorielle, genre littéraire et manifeste politique (milieu VIIIe-début XIe siècle) , Rennes, 2007.
[6] Sur la composition des inscriptions carolingiennes de Saint-Outrille, voir Treffort C., « Corps individuel, corps social, corps eschatologique. Le discours sur le corps dans les épitaphes carolingiennes » Actes du colloque du XXXVe Congrès international de l'Association des Professeurs de Langues Anciennes de l'Enseignement supérieur. Poitiers, 24-26 mai 2002 , Poitiers, 2004, p. 37-38 ; Treffort C., Mémoires carolingiennes, op. cit., p. 188-203, particulièrement et 194-195.