​ Bourges, Musée du Berry ​- ​Inscription funéraire pour Ildia  ​  ​


Bourges, Musée du Berry ​- ​Inscription funéraire pour Ildia

Corpus des Inscriptions de la France Médiévale, vol. 26, nº81 ​  ​


Description générale

Inscription funéraire. 
Plate-tombe. ​ Pierre.  Dimensions du support : 57 cm de largeur à gauche ; 45 cm de largeur à droite, 140 cm de longueur, épaisseur : 25. État de conservation : médiocre, la gravure était peu profonde. Inscription conservée, mais déplacée. Découverte lors de travaux en juin 1934, à Saint-Outrille-du-Château, au nord de l’ancienne église et à proximité de la crypte Sainte-Blandine, dans un espace qui peut être considéré comme un cloître. La plate-tombe recouvrait une sépulture en pleine terre. ​ Localisation actuelle : réserves du Musée (caves de l’Hôtel Lallemant). Gravée en creux.
Datation : Fin VIIIe-début IXe siècle [datation paléographique et linguistique].

Bibliographie

Texte d’après l’original vu le 13 juin 2012.
Roffignac, « Trois épitaphes récemment découvertes à Bourges », 1934-1935, p. XX [texte] ; Jenn, Ruffier, « Les plates-tombes de Saint-Outrille-du-Château », 1986, p. 60-61 [texte, traduction, commentaire, illustration].

Description paléographique

Disposition horizontale sur quatre lignes. Présence de réglures pour cinq lignes. Lettres capitales très droites. Module plus étroit que dans les inscriptions précédentes. Écriture maladroite, assez régulière. O et Q ronds (à l’exception du premier de forme hexagonale). La hauteur des lettres varie entre 3,8 à 6,5 cm (taille du H : 5,4 cm). Abréviations : élision de la nasale finale signalée par un tilde droit dans vitam, contraction de semper marquée par un P barré, contraction de omnes, de Deum signalée par un tilde droit. Absence de ponctuation et de décor.





Édition imitative


1 ​HIC ​REQVIESCIT ​ILDIE ​BONE ​MEMORIE ​
2 ​QVI ​STVDVIT ​VITA̅ ​SEMPR ​ABERE ​PIAM ​
3 ​[.]RO ​CVIVS ​ANIMA ​ONES ​PRECEMVR ​D̅M ​
4 ​QVISQVI ​LEGIT ​ORA ​PRO ​IPSA ​

1 ​HI ​REQUIESIT ​ILDIE ​BONE ​MEMORIE ​
2 ​QVI ​STVDVIT ​VITA̅ ​SEMꝐR ​ABERE ​PIAM ​
3 ​[.]RO ​VIVS ​ANIMA ​ONES ​PREEMVR ​D̅M ​
4 ​QVISQVI ​LEIT ​ORA ​PRO ​IPSA ​

1 ​HI ​REQUIESIT ​ILDIE ​BONE ​MEMORIE ​
2 ​QVI ​STVDVIT ​VITA̅ ​SEMR ​ABERE ​PIAM ​
3 ​[.]RO ​VIVS ​ANIMA ​ONES ​PREEMVR ​D̅M ​
4 ​QVISQVI ​LEIT ​ORA ​PRO ​IPSA ​

Légende

Violet : caractères allographes.



1 ​HI ​REQUIESIT ​ILDIE ​BONE ​MEMORIE ​
2 ​QVI ​STVDVIT ​VITA̅ ​SEMR ​ABERE ​PIAM ​
3 ​[.]RO ​VIVS ​ANIMA ​ONES ​PREEMVR ​D̅M ​
4 ​QVISQVI ​LEIT ​ORA ​PRO ​IPSA ​

Légende

Bleu : mot abrégé.
Violet : signe d'abréviation.



1 ​HI ​REQUIESIT ​ILDIE ​BONE ​MEMORIE ​
2 ​QVI ​STVDVIT ​VITA̅ ​SEMꝐR ​ABERE ​PIAM ​
3 ​[.]RO ​VIVS ​ANIMA ​ONES ​PREEMVR ​D̅M ​
4 ​QVISQVI ​LEIT ​ORA ​PRO ​IPSA ​

Légende

Bleu : enclavement.
Orange : conjonction.
Violet : entrelacement.



1 ​HIREQUIESITILDIEBONEMEMORIE
2 ​QVISTVDVITVITA̅SEMꝐRABEREPIAM
3 ​[.]ROVIVSANIMAONESPREEMVRD̅M
4 ​QVISQVILEITORAPROIP ​SA

Légende

Représentation des espaces entre les lettres tels qu'ils sont dans l'inscription.
Violet : signalement des figures qui s'interposent avec le texte.



Édition normalisée

Hic requiescit Ildie bone memorie qui studuit vita(m) semp(er) abere piam. [P] ro cujus anima o(m)nes precemur D(eu)m. Quisqui(s) legit ora pro ipsa.

Traduction

Ici repose Ildia de bonne mémoire qui s’appliqua toujours à mener une vie pieuse. Prions Dieu pour son âme. Quiconque lit, prie pour elle.

Commentaire

Le chanoine de Roffignac identifiait le défunt à un homme à cause du genre masculin du pronom relatif qui au début de la deuxième ligne. Cependant, cet argument n’est pas suffisant car il s’agit d’une expression formulaire utilisée de manière figée, employée pour des hommes comme pour des femmes, par exemple Gausberga (notice n°77). Le nom Ildie est à rapprocher des formes Hildia au VIIIe siècle et Ildia au Xe siècle[1].

Nombre des formules habituelles à la série funéraire de Bourges se retrouvent dans cette épitaphe : l’expression initiale hic requiescit, puis bone memorie écrit sans diphtongue, la formule qui studuit vitam semper abere piam qui forme un pentamètre. Deux demandes de prière en termes formulaires sont gravées aux lignes 3 et 4. La première se lit à plusieurs reprises dans la collection de Saint-Outrille (par exemple dans l’inscription de Witbertus ou celle d’Aganonus). Elle inclut auteur et lecteur dans un « nous » communautaire, tandis que la seconde identifie précisément la figure du lecteur (quisquis legit) et l’interpelle de façon personnelle (ora). Cette formule, formée du pronom relatif et du verbe legere, avec de nombreuses variantes, est extrêmement courante durant toute la période médiévale. Enfin, comme dans les autres épitaphes, la cinquième ligne devait être réservée à la date du décès et débuter par le verbe obiit.

La mauvaise qualité de la pierre et ses nombreuses imperfections ont rendu la gravure plus difficile et moins profonde que dans les autres textes. À cet aspect matériel s’ajoutent de nombreuses maladresses dans l’orthographe des mots : l’absence de I dans anima, de M dans omnes, de S dans quisquis ne peuvent guère s’expliquer comme des abréviations.

Comme pour le texte précédent, le chanoine de Roffignac proposait une datation très tardive de cette inscription (au XIe siècle), mais sa similarité avec les autres tombes de la série, tant sur le plan paléographique que textuel et linguistique, contredit cette interprétation et incite à l’attribuer aux VIIIe-IXe siècles.


Présentation du site et informations additionnelles

Le Musée du Berry possède une collection de vingt-cinq inscriptions funéraires du haut Moyen Âge, gravées essentiellement sur des plates-tombes, mais aussi sur des couvercles de sarcophage et peut-être des stèles. Elles proviennent pour la plupart de Saint-Outrille-du-Château où se trouvait un ensemble monastique urbain de Bourges, fondé probablement avant le VIe siècle. Le monastère reçut les sépultures de cinq évêques entre la fin du VIe siècle et le premier quart du VIIe siècle ; son rôle déclina par la suite et seul Étienne y encore est inhumé vers 830. Le nombre particulièrement élevé de ces épitaphes semble indiquer le statut particulier du site à l’époque. La découverte de ces textes épigraphiques s’est faite en quatre étapes, plus ou moins bien documentées pour les plus anciennes : la première avant 1870, puis en 1874, en 1934 et en 1981 lors de fouilles de sauvetage. Ces inscriptions sont classées ici par ordre de découverte la plus récente, qui est le classement adopté par Françoise Jenn et Oliver Ruffier dans leur article très détaillé sur lequel s’appuient ces notices[2]. La mission du CIFM dans les réserves du Musée du Berry à Bourges a permis de mettre au jour un nouveau fragment (notice n°95), ainsi que de découvrir une plate-tombe bûchée (non publiée puisqu’elle est désormais anépigraphe).


Il est difficile de dater avec précision ces textes, la confrontation de plusieurs critères permet de les attribuer aux époques mérovingienne (notices n°84-88 selon Olivier Ruffier) ou carolingienne, et peut-être certains d’entre eux relèvent-ils davantage du RICG que du CIFM. Sans être assuré de la datation haute et afin de respecter la cohérence de l’ensemble, il est préférable d’éditer toute la collection. Pour mieux comprendre la production épigraphique de ces périodes, nous renvoyons le lecteur au volume Hors Série n°1 du CIFM consacré aux épitaphes carolingiennes du Centre Ouest de la France (Poitou, Touraine, Anjou, Maine)[3].


Les défunts commémorés par ces inscriptions sont des hommes, des femmes et des enfants, dont le statut social n’est jamais mentionné ; on ne sait donc s’il s’agit de clercs ou de laïcs. Ces personnages sont, sans nul doute, des lettrés appartenant à une élite cultivée. Leur lien avec Saint-Outrille n’est pas connu. Les similitudes repérables dans la dizaine d’épitaphes découvertes en 1981 laissent penser à l’existence d’un atelier ayant travaillé pour la nécropole de Saint-Outrille, sur une période de temps assez brève. La composition formulaire de cette série a été étudiée par Cécile Treffort[4]. Les rédacteurs, qui pouvaient être les lapicides eux-mêmes, avaient sans doute à leur disposition plusieurs membres de phrases, dont certains étaient versifiés, et ils les associaient comme ils l’entendaient.




[1] Morlet, Les noms de personne sur le territoire de l’ancienne Gaule, I, 1968, p. 132.
[2] Jenn, Ruffier, « Les plates-tombes de Saint-Outrille-du-Château », 1986, p. 33-74.
[3] Voir aussi Treffort C., Mémoires carolingiennes. L’épitaphe entre célébration mémorielle, genre littéraire et manifeste politique (milieu VIIIe-début XIe siècle) , Rennes, 2007.
[4] Sur la composition des inscriptions carolingiennes de Saint-Outrille, voir Treffort C., « Corps individuel, corps social, corps eschatologique. Le discours sur le corps dans les épitaphes carolingiennes » Actes du colloque du XXXVe Congrès international de l'Association des Professeurs de Langues Anciennes de l'Enseignement supérieur. Poitiers, 24-26 mai 2002 , Poitiers, 2004, p. 37-38 ; Treffort C., Mémoires carolingiennes, op. cit., p. 188-203, particulièrement et 194-195.