Cette inscription funéraire était destinée à une femme, comme le montre le pronom-adjectif indéfini quedam. Elle présente des traits différents de la série de Saint-Outrille-du-Château, par exemple le O losangé de la première ligne. On peut se demander si elle a la même provenance. Il est peu aisé de reconstituer le texte de la plate-tombe à partir de ce fragment, car on ne trouve pas de formules communes aux autres inscriptions funéraires de la série. Le texte pouvait débuter par une formule de repos de défunt (jacet, requiescit ou quiescit) ou par un verbe marquant la relation entre le corps et la tombe (conditur, clauditur). L’emploi de l’adjectif religiosa à la deuxième ligne est assez fréquent à l’époque mérovingienne et il ne permet pas d’en déduire l’appartenance à une communauté religieuse de la défunte.
Buhot de Kersers attribuait cette épitaphe à l’époque mérovingienne, mais les arguments textuels et graphiques de Françoise Jenn en faveur d’une datation carolingienne ou pré-romane sont plus convaincants. D’une part, la périphrase regna beata évoquant les royaumes bienheureux est caractéristique des inscriptions métriques carolingiennes : on la trouve par exemple dans les poèmes composés par Alcuin pour des autels de l’église Saint-Hilaire-le-Grand à Poitiers (elle est toujours placée à la dernière ligne dans ces exemples)[1]. D’autre part, la paléographie est soignée et comporte de nombreux jeux de lettres ; enfin, les chiffres de la date sont transcrits en lettres.
Présentation du site et informations additionnelles
Le Musée du Berry possède une collection de vingt-cinq inscriptions funéraires du haut Moyen Âge, gravées essentiellement sur des plates-tombes, mais aussi sur des couvercles de sarcophage et peut-être des stèles. Elles proviennent pour la plupart de Saint-Outrille-du-Château où se trouvait un ensemble monastique urbain de Bourges, fondé probablement avant le VIe siècle. Le monastère reçut les sépultures de cinq évêques entre la fin du VIe siècle et le premier quart du VIIe siècle ; son rôle déclina par la suite et seul Étienne y encore est inhumé vers 830. Le nombre particulièrement élevé de ces épitaphes semble indiquer le statut particulier du site à l’époque. La découverte de ces textes épigraphiques s’est faite en quatre étapes, plus ou moins bien documentées pour les plus anciennes : la première avant 1870, puis en 1874, en 1934 et en 1981 lors de fouilles de sauvetage. Ces inscriptions sont classées ici par ordre de découverte la plus récente, qui est le classement adopté par Françoise Jenn et Oliver Ruffier dans leur article très détaillé sur lequel s’appuient ces notices[2]. La mission du CIFM dans les réserves du Musée du Berry à Bourges a permis de mettre au jour un nouveau fragment (notice n°95), ainsi que de découvrir une plate-tombe bûchée (non publiée puisqu’elle est désormais anépigraphe).Il est difficile de dater avec précision ces textes, la confrontation de plusieurs critères permet de les attribuer aux époques mérovingienne (notices n°84-88 selon Olivier Ruffier) ou carolingienne, et peut-être certains d’entre eux relèvent-ils davantage du RICG que du CIFM. Sans être assuré de la datation haute et afin de respecter la cohérence de l’ensemble, il est préférable d’éditer toute la collection. Pour mieux comprendre la production épigraphique de ces périodes, nous renvoyons le lecteur au volume Hors Série n°1 du CIFM consacré aux épitaphes carolingiennes du Centre Ouest de la France (Poitou, Touraine, Anjou, Maine)[3].
Les défunts commémorés par ces inscriptions sont des hommes, des femmes et des enfants, dont le statut social n’est jamais mentionné ; on ne sait donc s’il s’agit de clercs ou de laïcs. Ces personnages sont, sans nul doute, des lettrés appartenant à une élite cultivée. Leur lien avec Saint-Outrille n’est pas connu. Les similitudes repérables dans la dizaine d’épitaphes découvertes en 1981 laissent penser à l’existence d’un atelier ayant travaillé pour la nécropole de Saint-Outrille, sur une période de temps assez brève. La composition formulaire de cette série a été étudiée par Cécile Treffort[4]. Les rédacteurs, qui pouvaient être les lapicides eux-mêmes, avaient sans doute à leur disposition plusieurs membres de phrases, dont certains étaient versifiés, et ils les associaient comme ils l’entendaient.