Inscription funéraire endotaphe pour un archevêque de Bourges. Lame. Plomb. Dimension de la plaque :
16 x 36 x cm. État de conservation : très mauvais ; la lame est brisée en quatre morceaux, avec des fragments manquants ; le plomb est très oxydé par endroits et rend la lecture difficile. La plaque est entrée au Musée en 1974 ; elle était autrefois conservée à l’agence des travaux de la cathédrale, qui la recueillit probablement lors des travaux effectués au caveau des archevêques de la cathédrale de Bourges à la fin du XIXe siècle. Localisation actuelle : réserves du Musée. Nº d'inventaire : D.1974.1.1. Datation : 1272 ou fin XIIIe siècle [par identification du défunt en accord avec l’analyse paléographique].
Bibliographie
Texte d’après l’original vu le 13 juin 2012 (l’édition critique s’appuie, pour les restitutions, sur la lecture proposée par Paul Cravayat en 1954, l’état de dégradation de la plaque étant à l’époque beaucoup moins avancé qu’aujourd’hui). Cravayat, « Épitaphe de Jean de Sully », 1953-1954, p. 195-197 [texte] ; Boyer-Gardner, « Souvenir et sépultures des archevêques de Bourges », 2017, p. 79-92 [texte, édition, traduction, illustration et commentaire].
Description paléographique
Disposition horizontale sur huit lignes. Présence d’une double réglure. Le texte n’occupe pas l’intégralité du support. Écriture régulière.
Mélange de capitales et d’onciales (A, C, E, H, M, T) ; les C et les E sont fermés par un trait fin ; alternance de forme pour une même lettre (M oncial dans millesimo et capital dans mercurii).
A à traverse brisée et plateau débordant. Le trait des hastes semble systématiquement redoublé. Module étroit, ductus fin, présence d’empattements. Taille du premier M de millesimo et du M de memorie : 1 cm de hauteur.
Abréviations visibles : double L barré dans millesimo, contraction d’archiepiscopus, d’ecclesiastice et de kalendas.
Absence de ponctuation visible, à part les deux croix qui entourent l’expression bone memorie. Pas de jeu de lettres, ni de décor.
Représentation des espaces entre les lettres tels qu'ils sont dans l'inscription. Violet : signalement des figures qui s'interposent avec le texte.
Édition normalisée
Anno D(omi)ni mill(esim)o [d]ucentesimo [---], mercurii post dominicam qua cant[a]tur Oculi mei, obiit [J]
ohannes de Soliac[o] bone memorie [patr]i[ar]cha Bit[uric]en[sis archiep(iscopu)s, A[qui]
tani[a p]ri[mas. i]n[ hac]
cis[t]a [dep]o[s]itum est corpus eius [intra] aditu eccl(esi)astice se[pult]ure, die Ven[eris] k(a)l(endas) sequ[enti---] v [---] Dei, [--- die] m[en]sis ap[rilis octava---].
Traduction
L’an du Seigneur 12[72], le mercredi après le dimanche où l’on chante l’Oculi mei [30 mars] mourut Jean de Sully, de bonne mémoire, archevêque du patriarcat de Bourges, primat d’Aquitaine. Dans ce coffre a été déposé son corps dans l’entrée de la sépulture ecclésiastique, le vendredi des calendes suivant (…) de Dieu (…le jour de l’octave du) mois d’avril (…) [8 avril].
Commentaire
Cette lame de plomb devait se trouver dans le « monument funéraire » de Jean de Sully, archevêque de Bourges, qui occupait encore le siège archiépiscopal en 1270 ; il s’agit donc d’une endotaphe[1].
Ce contenant est désigné à la cinquième ligne de l’inscription par le terme cista, coffre ou urne en latin classique, mais aussi corbeille, buffet ou encore étui en latin médiéval.
On trouve ce mot dans des inscriptions versifiées, par exemple celle d’une laïque, nommée Richarde, au Palais des archevêques de Narbonne, en 1162[2].
Cependant, si, dans les épitaphes en vers, l’emploi d’un tel terme vient répondre à une recherche poétique et un besoin métrique, mais désigne bien un tombeau, dans le cas de Bourges, la question du sens précis du mot demeure : dans quel type de monument funéraire se trouvaient le corps de l’évêque et l’endotaphe ?
Le verbe employé n’évoque pas le repos du corps (comme peuvent le faire les verbes jacet ou requiescit), mais l’étape précédente, celle du dépôt lors de l’enterrement (depositum est), à moins qu’il ne s’agisse d’une formule propre à une sépulture secondaire, marquant la translation des ossements.
L’expression ecclesiastice sepulture à la ligne 6 est également difficile à interpréter : désigne-t-elle le caveau des archevêques ou la manière de déposer ?
Les trois premières lignes de l’inscription sont consacrées à la datation du décès. Après l’expression courante anno Domini, les premiers éléments du millésime sont écrits en toutes lettres.
La fin de la première ligne devait comporter des chiffres romains, car il n’y a de place que pour cinq ou six lettres. La date est aujourd’hui incomplète, mais Jean de Sully mourut très certainement en 1272.
Son siège est donné vacant dans deux actes du d’avril 1271 (ancien style) et de novembre 1272[3].
Le quantième du mois est ensuite donné grâce à la référence liturgique de l’introït de la messe du troisième dimanche de Carême – mercurii post dominicam qua cantantur Oculi mei – en 1272, le 30 mars.
La datation par une référence religieuse, encore rare au XIIe siècle, se répand au XIIIe siècle, particulièrement à partir du troisième tiers[4].
Néanmoins, il s’agit le plus souvent de référence à une fête liturgique liée à la vie du Christ, de la Vierge ou celle d’un saint. Ce type de datation est en revanche plus courant en diplomatique.
Delphine Boyer-Gardner propose ainsi de comparer cette inscription avec l’authentique de reliques que rédigea Jean de Sully en personne à l’occasion de l’élévation, en 1269, des restes de saint Août dans l’église paroissiale portant son nom (diocèse de Bourges).
La date y est en effet donnée dans le même style que l’obit sur l’endotaphe (anno Domini m° cc° lx° nono die dominica qua cantant Misericordia).
Après la datation vient le verbe obiit suivi du nom du défunt, qui se trouve ainsi placé au milieu du texte inscrit.
L’expression bone memorie est une formule employée très fréquemment tout au long du Moyen Âge en contexte funéraire ; elle est particulièrement mise en valeur ici par les deux croix qui l’encadrent.
Le double statut du défunt est mentionné et vient clore la première partie de l’endotaphe. Après l’évocation de la mort, la deuxième partie du texte se concentre sur l’inhumation, le 8 avril. La datation est alors donnée d’après le calendrier romain.
[1] Sur les endotaphes, voir Treffort C., « Une écriture cachée aux yeux des hommes. Quelques réflexions autour des "endotaphes" médiévales » La mémoire des pierres : Mélanges d'archéologie, d'art et d'histoire en l'honneur de Christian Sapin , Turhout, 2016, p. 39-45. [2]CIFM,
12, n°43 Aude, p. 62-63, pl. XVI, fig. 36. [3]Gallia christiana, 1720,
t. II,
col. 71. [4] Voir l’article de Favreau R., « La datation dans les inscriptions médiévales françaises » Bibliothèque de l’Ecole des chartes, 1999,
t. 157, p. 11-39.