​ Tours, Saint-Martin ​- ​Inscription funéraire composée par Alcuin pour le moine Paul  ​  ​


Tours, Saint-Martin ​- ​Inscription funéraire composée par Alcuin pour le moine Paul

Corpus des Inscriptions de la France Médiévale, vol. Hors-série I, nº8 ​  ​


Description générale

Inscription funéraire à caractère tumulaire. 
Composition littéraire à caractère épigraphique dont on ne connaît pas de traces matérielles. Datation : proposée pour la rédaction : fin VIIIe ou début IXe siècle (avant 804) [datation par identification de l’auteur].

Bibliographie

Jullien, Perelman, Clavis Alcuin ALC 46.[10].113 ; Schaller, Könsgen, Initia carminum, n°16563.Treffort, Mémoires carolingiennes, 2007, p. 169 [trad. partielle] ; CIFM, 25, 2014, n°113, p. 132-133 [notice abrégée].

Édition

Tu quicumque cupis requies cognoscere fratrum,
et loca quo quisque spectat ab arce Deum :
nomina curre legens lacrimosis scripta carmenis,
perlectisque simul funde preces Domino,
ut pius omnipotens animas defendat ab hoste,
felicem tribuens pacis in arce diem.
Et cum pervenies ad haec mea carmina, quaeso,
dic supplex : " Paulo jam miserere, Deus".
Et Martine, decus mundi, pater optime noster,
auxiliare piis, te precor, et precibus,
cujus eram vivus semper devotus amore,
in que Deo Christo spes mihi sacra fuit.
Paulus ​eram dictus, Martini famulus almi,
transcurri modicum tempus in orbe meum,
me primum felix Burgundia matris ab alvo
viderat effusum et fletibus irriguum.
Mox Martinus amor rapuit me inclitus auctor
post teneros annos in famulus sibimet.
Per que suos servos venerandos atque magistros
scripturis memet imbuit atque sacris.
Septenas vixi decadas novus hospes in orbe,
fraterno junctus semper amore fui,
languidus, aegrotus solvebam debita donec,
atque artus anima liquerat ipsa suos.
Fraternis fueram manibus mox conditus ista,
hic mihi perpetua est domus et requies,
omnipotens animas jubeat remeare quousque
ad cineres iterum, tunc ero Paulus ego.
Nunc, fratres, animam precibus commendite Christo.
vos que valete mei semper ubique Deo.

Traduction

Qui que tu sois qui penses connaître le repos des frères
   Et les lieux d'où chacun de la citadelle regarde Dieu,
Parcoure les noms inscrits en lisant ces tristes poèmes
   Et après les avoir lus, fonds en prière au Seigneur
Afin que le Tout Puissant, empli de piété, défende les âmes de l'Ennemi
   Et leur attribue l'heureux jour de paix dans la citadelle.
Et lorsque tu parviendras à ces poèmes qui sont miens, je t'en prie,
   Dis cette supplication : Ô Dieu, prends maintenant pitié de Paulus.
Et toi, Martin, parure du monde, notre très excellent Père,
   Je te supplie de m'aider par tes prières pleines de piété,
Envers Celui auquel, lorsque j'étais vivant, je vouais amour et dévotion,
   Et en qui, par le Christ Dieu, était mon espoir le plus sacré.
J'étais appelé Paulus, serviteur du doux Martin ;
   J'ai écoulé mon court temps en ce monde.
Tout d'abord, tout heureux, la Burgondie, du ventre de ma mère
   Me vit sortir, avant d'être irriguée par les pleurs,
Bientôt l'amour de Martin, illustre maître, me ravit
   Après les tendres années pour être son serviteur.
Et par ses serviteurs et vénérables maîtres,
   M'emplit des écritures sacrées.
J'ai vécu dix décades, nouvel hôte dans le monde,
   Je fus toujours uni par l'amour de mes frères
Jusqu'à ce que, affaibli et malade, j'acquitte ma dette
   Et que l'âme elle-même se libère du corps.
Je fus bientôt enseveli par les mains de mes frères ;
   Ici est ma demeure et le repos éternel
Jusqu'à ce que le Tout Puissant ordonne aux âmes
   De retourner aux cendres ; alors je serai Paulus.
Maintenant, frères, recommandez l'âme au Christ par vos prières
   Et vous, portez-vous bien grâce aux miennes, toujours et partout en Dieu.

Commentaire

Le défunt pour qui Alcuin composa ce long poème en distiques élégiaques est inconnu par ailleurs. Le texte donne plusieurs renseignements à son sujet : son lieu de naissance (la Burgondie), sa vocation à rejoindre la communauté martinienne, son décès et son inhumation au monastère de Tours. Cette inscription, si elle reflète bien le style et le lexique employés par Alcuin dans ses compositions à destination épigraphique, est toutefois assez différente des textes funéraires écrits pour célébrer des défunts, prestigieux ou non, à Tours ou dans d'autres loci de l'Empire.

Le texte pour Paulus se caractérise d'abord par le fait qu'il semble mettre en scène l'inscription dans l'espace du monastère auprès d'autres textes épigraphiques (nomina scripta lacrimosis carmenis). Alcuin fait véritablement du poème pour Paulus (mea carmina) un objet placé au contact de la sépulture (c'est la première partie du texte, v. 1-8). L'autre caractéristique réside dans le fait que le défunt prend lui-même la parole au long des 30 vers pour exprimer sa foi, pour donner un récit assez précis de son existence et pour appeler les lecteurs à la prière pour le salut de son âme. La réunion de ces deux tours rhétoriques donne un poème assez original et très vivant (surtout si on le compare à d'autres réalisations funéraires d'Alcuin, plus figées et pesantes[1]). Il présente d'autre part un schéma d'intercession complexe, notamment à la fin du poème où le défunt assure les vivants de ses prières et en appelle à leurs suffrages tout en plaçant Martin, puis le Christ en intercesseurs du Tout Puissant, seul juge de la résurrection des corps.




[1] Voir CIFM, HSI, n°75-77 (compositions pour des défunts de Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers).