​ Tours, Saint-Martin ​- ​Inscription funéraire pour Adalberga  ​  ​


Tours, Saint-Martin ​- ​Inscription funéraire pour Adalberga

Corpus des Inscriptions de la France Médiévale, vol. Hors-série I, nº9 ​  ​


Description générale

Inscription funéraire à caractère tumulaire. 
Dalle funéraire. ​ Pierre, calcaire.  Collection de la Société archéologique de Touraine, n° inv. HG 950.5.1. Classé MH au titre des Antiquités et Objets d’art le 24/07/1963. Cette pierre aurait été découverte en 1829, en réemploi, lors de la démolition de la chapelle dite du petit Saint-Martin (couvent de l’Adoration perpétuelle). Elle provient probablement de la basilique ou du cimetière Saint-Martin. Cette épitaphe, gravée dans du calcaire, est parfaitement conservée. Complète, elle ne possède ni cadre, ni ornement. Ses dimensions sont imposantes : la surface sculptée mesure 105 cm de large pour 38 de haut et, surtout, l’épaisseur du bloc est de 23 cm. Il ne s’agit vraisemblablement pas d’une plate-tombe, déposée horizontalement pour recouvrir la sépulture de la défunte, mais d’un bloc présenté à la verticale, encastré dans un mur ou servant de support à un monument. Les lettres, profondément gravées, sont encore incrustées de plomb, à l’exception d’un des X de la date, à la dernière ligne. La lisibilité du texte est encore accrue par le contraste de couleur entre le plomb, gris sombre, et la pierre blanche.
Datation : 830 ou 840 [datation interne qui coïncide avec la paléographie].

Bibliographie

Lecture d’après l’original (vérifiée en 2015).
Tours, Bibliothèque municipale, ms. 1296 (Chalmel, Histoire et antiquités de Saint-Martin, 1807), fol. 242 ; Paris, Bibl. Institut (arch. E. Le Blant), ms. 1723, « Inscriptions diverses » p. 10 (texte donné par Chalmel) ; Paris, Bibl. Institut (arch. E. Le Blant), ms. 1723, « Inscriptions carlovingiennes », p. 2v° (d’après Revue des Sociétés savantes, 1872, p. 242) ; Paris, Bibl. nat. de France, nouv. acq. lat. 5569, liasse 3, n° XV (171-172) (coll. Ramé) [estampagne].Grandmaison, « Communication sur une inscription », 1860 ; Lehoux, « Communication sur l’inscription d’Adalberge », 1950 ; Chevalier, « Les fouilles de Saint-Martin », 1989, p. 95-96 ; De Rossi, « L’inscription du tombeau d’Hadrien Ier », 1988, p. 489 ; Deschamps, Étude sur la paléographie, 1929 fig. 2 ; Vieillard-Troiekouroff, « Les sculptures et objets préromans », 1962, p. 112-113 + fig. 33 ; Philippon, « Une inscription du Petit Saint-Martin », 1964-1966, p. 65-66 ; Favreau, Épigraphie médiévale, 1997174 [mention] ; Treffort, « Alcuin, rédacteur d’inscriptions », 2004, p. 14 [photo] ; Koch, Inschriftenpaläographie, 2007, p. 109, ill. 88 [photo] ; Treffort, Mémoires carolingiennes, 2007, p. 149 [dessin], p. 200 [texte partiel] ; Debiais, Favreau, Treffort, « L’évolution de l’écriture épigraphique », 2007, p. 111, ill. 3 [photo] ; CIFM, 25, n°114, p. 134 [notice abrégée] ; Treffort, Paroles inscrites, 2008, p. 35, doc. 7 [photo] ; CIFM, 25, 2014, n°114, p. 134 [notice abrégée] ; Treffort, « Adda, Goda et les autres », 2015, p. 248 [mention] ; Caldelli, « Sull’iscrizione di Adriano I », 2016, p. 69-70 et pl. 9 [étude paléographique, photo].

Description paléographique

Les lettres sont hautes de 5 cm ; l’épaisseur du trait est d’environ 1 cm. L’inscription semble parfaitement réglée, même si on ne voit plus le tracé préparatoire des interlignes qui, doubles, permettent l’installation des signes d’abréviations. Les mots, non séparés, sont coupés de manière aléatoire à la fin des lignes. On n’observe aucune ponctuation. Les abréviations, marquées par des traits droits, sont classiques[1]. Quelques lettres sont enclavées[2] ou conjointes[3]. Les lettres sont, sans aucune exception, des capitales romaines. Si leur silhouette est alourdie par l’incrustation de plomb, leur module est régulier et leur ductus s’inscrit parfaitement dans le courant de la réforme carolingienne de l’écriture ; pour cette raison, l’inscription d’Adalberga a été plusieurs fois rapprochée de celle de l’épitaphe d’Hadrien Ier à Rome de manière plus ou moins pertinente. L’inscription commence par une croix.





Édition imitative


1 ​✝IN ​HOC ​TVMVLO ​RECONDITA ​S̅ ​
2 ​ME̅BRA ​ADALBERGAE ​FEMINE ​CV
3 ​IVS ​ANIMA ​REQVIE̅ ​MEREAT̅ ​ABERE ​O
4 ​BIIT ​IN ​PACE ​XI ​KL ​M̅AI ​ANNI ​
5 ​DN̅I ​DCCCXXL ​

1 ​✝IN ​HOC ​TVMVLO ​RECONDITA ​S̅ ​
2 ​ME̅BRA ​ADALBERGAE ​FEMINE ​CV
3 ​IVS ​ANIMA ​REQVIE̅ ​MEREAT̅ ​ABERE ​O
4 ​BIIT ​IN ​PACE ​XI ​Kƚ ​M̅AI ​ANNI ​
5 ​DN̅I ​DCCCXXL ​

1 ​IN ​HOC ​TVMVLO ​RECONDITA ​S̅ ​
2 ​ME̅BRA ​ADALBERGAE ​FEMINE ​CV
3 ​IVS ​ANIMA ​REQVIE̅ ​MEREAT̅ ​ABERE ​O
4 ​BIIT ​IN ​PACE ​XI ​Kƚ ​M̅AI ​ANNI ​
5 ​DN̅I ​DCCCXXL ​

Légende

Violet : caractères allographes.



1 ​✝IN ​HOC ​TVMVLO ​RECONDITA ​S̅ ​
2 ​ME̅BRA ​ADALBERGAE ​FEMINE ​CV
3 ​IVS ​ANIMA ​REQVIE̅ ​MEREAT̅ ​ABERE ​O
4 ​BIIT ​IN ​PACE ​XI ​ ​M̅AI ​ANNI ​
5 ​DN̅I ​DCCCXXL ​

Légende

Bleu : mot abrégé.
Violet : signe d'abréviation.



1 ​✝IN ​HOC ​TVMVLO ​RECONDI TA ​S̅ ​
2 ​ME̅BRA ​ADALBERGAE ​FEMI NE ​CV
3 ​IVS ​ANIMA ​REQVIE̅ ​MEREAT̅ ​ABERE ​O
4 ​BIIT ​IN ​PACE ​XI ​Kƚ ​M̅AI ​ANNI ​
5 ​DN̅I ​DCCCXXL ​

Légende

Bleu : enclavement.
Orange : conjonction.
Violet : entrelacement.



1 ​✝INHOCTVMVLORECONDITAS̅
2 ​ME̅BRAADALBERGAEFEMINECV
3 ​IVSANIMAREQVIE̅MEREAT̅ABEREO
4 ​BIITINPACEXIKƚM̅AIANNI
5 ​ ​DN̅IDCCCXXL

Légende

Représentation des espaces entre les lettres tels qu'ils sont dans l'inscription.
Violet : signalement des figures qui s'interposent avec le texte.



Édition normalisée

In hoc tumulo recondita s(unt) me(m)bra Adalbergae femine cujus anima requie(m) mereat(ur) abere. Obiit in pace XI k(a)l(endas) mai(i) anni D(omi)ni DCCCXXL.

Traduction

En ce tombeau repose le corps de dameAdalberga, dont l’âme mérite d’avoir le repos. Elle est morte en paix le onze des calendes de mai [21 avril], l’an du Seigneur 830/840.

Commentaire

La forme littéraire de ce texte est recherchée et se rapproche, par les formules utilisées, de la poésie métrique contemporaine sans toutefois se plier précisément à ses règles. La formule initiale In hoc tumulo est relativement fréquente dans la production épigraphique contemporaine, y compris accompagnée de condita, rappelant le recondita d’Adalberga (par exemple épitaphe de Maria à Narbonne, In hoc tumulo condita requiescit…[4]) ou de membra (épitaphe du roi Boson, mort en 887 à Vienne, Regis in hoc tumulo requiescunt membra Bosonis[5]). L’utilisation du terme de membra pour désigner le corps est d’ailleurs courante, en particulier dans la poésie funéraire carolingienne, de Paul Diacre (épitaphe d’Adelaïde, sœur de Charlemagne[6]) à Micon de Saint-Riquier (épitaphe d’Asbertus [7]) ou à Walafrid Strabon (pour Bernold[8]) sans qu’on puisse déterminer un modèle unique pour l’inscription d’Adalberga. De même, si la formule cujus anima requiem mereatur habere ne semble pas se retrouver dans d’autres épitaphes contemporaines conservées, elle rappelle diverses formules épigraphiques inspirées, par ailleurs, de la liturgie funéraire.

Cette inscription ayant été découverte en réemploi, l’analyse historique est nécessairement réduite. En outre, aucun renseignement porté par la pierre ne permet d’identifier avec précision cette Adalberga, qui est seulement qualifiée de femina. Son nom, formé de la racine Adal- (variante Adel-) et du suffixe -berga[9], n’est pas assez significatif pour en inférer l’appartenance à un réseau aristocratique précis ou des liens de famille avec par exemple une Adélaïde (famille des Étichnides), fille d’Hugues de Tours, mort en 837, mariée en secondes noces à Robert le Fort, ou une Adeltrudis / Adda, fille du comte de Maine (famille des Rorgonides), devenue comtesse de Poitiers et dont on a conservé l’épitaphe[10].

La paléographie de l’inscription invite à placer cette dernière dans la première moitié du IXe siècle, ce qui rend difficile l’interprétation du chiffre XXL comme XX+L, qui donnerait comme date du décès 870. La forme numérique utilisée par cette épitaphe n’en reste pas moins étonante : on note habituellement le chiffre trente par XXX, et non par XXL. J.-B. de Rossi, le premier, a remarqué l’absence de plomb dans le X précédant le L (ce qui suggèrerait une erreur du lapicide) et propose de lire 840, suivi en cela par P. Deschamps. R. Favreau propose quant à lui de lire 850 moins 20, c’est-à-dire 830[11] ; si l’on suit cette hypothèse (sans toutefois d’équivalent connu), l’épitaphe d’Adalberga serait la plus ancienne inscription conservée à utiliser la datation par année de l’incarnation.




[1] s(unt) l. 1, me(m)bra l. 2, requie(m) et mereat(ur) l. 3, k(a)l(endas) mai(i) l. 4, D(omi)ni l. 5.
[2] V dans T et I dans D l. 1, I dans M l. 2, S dans V et I dans V l. 3.
[3] ME de « membra » l. 1, NE de femine l. 2, MA de anima et ME de mereatur l. 4 ; NP de in pace l. 4.
[4] CIFM, 12, n°56, p. 83.
[5] CIFM, 15, n°24, p. 26-28.
[6] MGH, Poet. Lat., I, p. 57-58.
[7] MGH, Poet. Lat., III, p. 312.
[8] MGH, Poet. Lat., II, p. 420-421.
[9] Morlet, Les noms de personne, 1972, t. I, p. 13.
[10] Voir CIFM, HSI, n°78.
[11] Favreau, Épigraphie médiévale, 1997, p. 174.