La langue de cette inscription est très recherchée et s’ancre dans la tradition poétique carolingienne. Toutefois, sa forme ne répond pas à la métrique classique : le 1er vers pourrait être un hexamètre si on enlevait ut, mais le 2ème vers ne peut quant à lui en aucun cas être un pentamètre. La différence de ponctuation semble correspondre au respect de l’hémistiche et de la fin du vers même si chaque « vers » est trop long pour former, à deux, un distique.
Le début de l’inscription rappelle les vers 19 et 20 de l’épitaphe rédigée par Alcuin († 804) pour lui-même légèrement modifiés (ajout de ut et de vox, déplacement de donec) : Obsecro nulla manus violet pia jura sepulcri / personet angelica donec ab arce tuba[7]. La première partie se retrouve aussi partiellement dans l’épitaphe de Dungal de Saint-Denis († 827) : Oroque nemo mei violet pia jura sepulcri[8], et dans celle d’Adventius de Metz († 875) : Obsecro per trinum Dominum contestor et unum, / mausolei septum nulla manus violet[9]. En ce qui concerne la deuxième partie, on ne peut pas la restituer à Vertou par ab arce [tuba] comme dans l’épitaphe d’Alcuin, car tuba serait redondant avec vox. En revanche, on trouve dans la poésie épigraphique contemporaine, en particulier chez Alcuin, l’expression in arce poli, qui pourrait ici convenir[10].
Le seul argument de datation est ici paléographique. Plusieurs caractères sont à rappeler : forme anguleuse d’une partie importante des lettres, usage développé des enclavements et des conjonctions et originalité de quelques lettres. Les formes carrées peuvent se trouver à la fin du VIIIe siècle, dans la seconde moitié du IXe et au Xe siècle. Ce dernier semble cependant devoir être exclu par le fait que plusieurs barres transversales s’ancrent légèrement en retrait sur la haste verticale, caractère que l’on ne trouve plus à ce moment-là. Une comparaison peut être faite avec l’épitaphe d’Amelius à Saint-Hilaire de Poitiers, datée de 874[11], et qui, au jeu complexe des enclavements et conjonctions, associe l’usage de C ou de G carrés et l’indépendance des boucles des B ou des R. Cependant, aucun des 6 S et des 11 O n’adopte de forme anguleuse. L’inscription de Mumlenau, découverte à Sainte-Radegonde de Poitiers et datée de la fin du VIIIe siècle[12], est plus proche : enclavements et conjonctions sont présents (quoique moins nombreux) et le Q de requiescit (l. 5) est semblable à celui de Vertou. Cependant, si tous les O sont en losange, aucun S ni C n’adopte de forme anguleuse, et la ponctuation marquée par trois points superposés est d’un usage un peu aléatoire. Les comparaisons les plus pertinentes sont vraisemblablement à faire avec trois inscriptions angevines, sculptées comme celle de Vertou sur ardoise, datées respectivement de 771 (Erdramnus et Balthadus), de 784 (Autbertus)[13]. On y retrouve l’usage des enclavements et des conjonctions, d’une ponctuation logique par trois ou quatre points superposés, le dépassement des hastes verticales, la forme anguleuse de nombreuses lettres et les empattements triangulaires marqués. Pour toutes ces raisons, on peut proposer pour cette inscription une exécution à la fin du VIIIe siècle ou au tout début du IXe siècle.
Une telle datation suggère que cette pierre est légèrement antérieure ou, au plus, contemporaine de l’arrivée d’Alcuin à Saint-Martin de Tours en 796. La construction non métrique du texte interdit d’y voir un extrait littéral de l’épitaphe d’Alcuin (dont nous ignorons par ailleurs la date précise de rédaction, mais qui est antérieure à la mort de l’auteur en 804). En outre, la forme anguleuse des lettres place cette pièce en amont de la réforme carolingienne de l’écriture (portée en particulier par Alcuin) qui remit à l’honneur la capitale romaine dans les tituli manuscrits ou lapidaires. L’épitaphe de Vertou, malheureusement anonyme, pourrait alors être le témoin d’une formule épigraphique déjà existante qu’Alcuin aurait repris et dont il aurait assuré la postérité en lui donnant une forme métrique classique à moins qu’il ne s’agisse d’un réemploi un peu maladroit. Gravée sur ardoise, un matériau étranger au substrat géologique local, cette inscription a été importée, peut-être de l’atelier angevin connu par ailleurs.
Cette inscription, bien évidemment, ne peut plus être considérée comme une preuve de la panique provoquée par les Normands et leurs éventuelles violations de sépulture, opinion émise dès sa découverte et reprise dans la bibliographie ultérieure. Elle gagne en revanche un statut nouveau, révélant une éventuelle source épigraphique pour Alcuin, ce qui est bien plus intéressant au regard de l’histoire littéraire, et de l’histoire tout court.