​ Melle, église Saint-Pierre ​- ​Inscription funéraire pour Godemerus  ​  ​


Melle, église Saint-Pierre ​- ​Inscription funéraire pour Godemerus

Corpus des Inscriptions de la France Médiévale, vol. Hors-série I, nº66 ​  ​


Description générale

Inscription funéraire à caractère tumulaire. 
Dalle funéraire. ​ Pierre.  L’inscription prend place sur une tombe découverte lors des fouilles menées en 1992 au sud de l’église Saint-Pierre de Melle par B. Farago-Szekeres (sépulture n° 21). Elle était alors en place, encadrée par deux pierres fichées verticalement à la tête et aux pieds, formant stèle. Le texte couvre l’intégralité de la surface de la pierre, à l’intérieur d’un triple cadre orné aux angles de petites croix ou d’une rosace rappelant celle décorant la croix sculptée sur la tombe de Bobus. La surface a été parfaitement préparée par une réglure pour recevoir les lignes d’écriture, mais les irrégularités de la pierre, d’extraction locale, a obligé le lapicide à éviter parfois les accidents trop importants. Dimensions = 172 x 62 cm ; épaisseur = 32 cm. Inscription complète ; état de conservation : bon.
Datation : fin du VIIIe siècle ? [datation paléographique, linguistique et archéologique].

Bibliographie

Texte établi d’après l’original vu en place en 2009.
Farago-Szekeres, « Les fouilles Saint-Pierre Melle », 1993, p. 436-437 [texte, traduction, photo, étude] ; Vareille, « Les épitaphes médiévales de Melle », 2004, p. 93 [texte, traduction, photo, étude] ; Treffort, « Corps individuel », 2004, p. 30-31 [texte, traduction, photo] ; Treffort, Mémoires carolingiennes, 2007, p. 115 [traduction], p. 116 [cliché], p. 329 [mention] ; Jarry, Corpus des inscriptions, 2009, p. 117-118 [texte, traduction, commentaire] ; Une société de pierre, 2009, p. 30 [texte et cliché] ; Debiais, « La pratique épigraphique », 2012, p. 51.

Description paléographique

Ce texte, tout à fait original par son contenu comme par sa forme littéraire, a été gravé avec une écriture qui ressemble, par divers traits, à la production melloise contemporaine. Dans une graphie composée globalement de capitales romaines au module allongé, on remarque quelques C carrés (environ la moitié), des O en navette très marquée et plusieurs U de forme onciale manuscrite. Il semble que le lapicide ait volontairement joué sur l'alternance des graphies pour une même lettre, comme dans le mot peccata par exemple. Hauteur moyenne des lettres = 3 cm. Les abréviations, marquées par des traits droits, sont relativement classiques et le lapicide a utilisé assez fréquemment les conjonctions ou les enclavements de lettres.





Édition imitative


1 ​EGO ​FR̅S ​KM̅I ​GODEMERVS ​PEC[..]TOR ​IIII ​IDVS ​MAI ​DIE ​MIGRAVI ​A ​SECLO ​DORMIVI ​IN ​XPO̅ ​
2 ​HORATE ​P ​ME ​OM̅S ​QVI ​HVC ​ILLVC ​VIVE ​DISCVRRITIS ​VT ​PIV[.] ​DN̅S ​MEAS ​DIGNETVR ​DIMITERE ​CVLPAS ​
3 ​HOMNES ​QVI ​P ​ME ​ORAVERINT ​INDVLGEAD ​ILLIS ​DN̅S ​OMNIA ​PECCATA ​EORV[.] ​
4 ​ET ​EGO ​GODA ​VXOR ​TVA ​DEPRECOR ​DNM ​VT ​MISERICORDIAM ​INVENIAD ​
5 ​DS ​OMNIPOTENS ​QVI ​NOS ​FECIT ​CORPORALITER ​DILIGERE ​IN ​HAC ​VITA ​
6 ​FACIAD ​NOS ​SPIRITALITER ​GAVDERE ​IN ​ETERNA ​GLORIA ​AMEN ​

1 ​EGO ​FR̅S ​KM̅I ​GODEMRUS ​PEC[..]TOR ​IIII ​IDUS ​MAI ​DIE ​MIRAUI ​A ​SECꝈO ​DORMIUI ​IN ​XPO̅ ​
2 ​HORATE ​Ꝓ ​ME ​OM̅S ​QUI ​HU ​ILLV ​VIVE ​DISVRRITIS ​VT ​PIV[.] ​DN̅S ​MEAS ​DIGNETVR ​DIMITERE ​VLPAS ​
3 ​HOMNES ​QVI ​Ꝓ ​ME ​ORAVERINT ​INDVLGEAD ​ILLIS ​DN̅S ​OMNIA ​PECATA ​EORV[.] ​
4 ​ET ​EGO ​GODA ​VXOR ​TVA ​DEPREOR ​DNM ​VT ​MISERICORDIAM ​INVENIAD ​
5 ​DS ​OMNIPOTENS ​QVI ​NOS ​FEIT ​CORPORALITER ​DILIERE ​IN ​HAC ​VITA ​
6 ​FAIAD ​NOS ​SPIRITALITER ​GAVDERE ​IN ​ETERNA ​GLORIA ​AMEN ​

1 ​EGO ​FR̅S ​KM̅I ​GODEMRUS ​PEC[..]TOR ​IIII ​IDUS ​MAI ​DIE ​MIRAUI ​A ​SECO ​DORMIUI ​IN ​XPO̅ ​
2 ​HORATE ​ ​ME ​OM̅S ​QUI ​HU ​ILLV ​VIVE ​DISVRRITIS ​VT ​PIV[.] ​DN̅S ​MEAS ​DIGNETVR ​DIMITERE ​VLPAS ​
3 ​HOMNES ​QVI ​ ​ME ​ORAVERINT ​INDVLGEAD ​ILLIS ​DN̅S ​OMNIA ​PECATA ​EORV[.] ​
4 ​ET ​EGO ​GODA ​VXOR ​TVA ​DEPREOR ​DNM ​VT ​MISERICORDIAM ​INVENIAD ​
5 ​DS ​OMNIPOTENS ​QVI ​NOS ​FEIT ​CORPORALITER ​DILIERE ​IN ​HAC ​VITA ​
6 ​FAIAD ​NOS ​SPIRITALITER ​GAVDERE ​IN ​ETERNA ​GLORIA ​AMEN ​

Légende

Violet : caractères allographes.



1 ​EGO ​FR̅S ​KM̅I ​GODEMRUS ​PEC[..]TOR ​IIII ​IDUS ​MAI ​DIE ​MIRAUI ​A ​SECꝈO ​DORMIUI ​IN ​XPO̅ ​
2 ​HORATE ​ ​ME ​OM̅S ​QUI ​HU ​ILLV ​VIVE ​DISVRRITIS ​VT ​PIV[.] ​DN̅S ​MEAS ​DIGNETVR ​DIMITERE ​VLPAS ​
3 ​HOMNES ​QVI ​ ​ME ​ORAVERINT ​INDVLGEAD ​ILLIS ​DN̅S ​OMNIA ​PECATA ​EORV[.] ​
4 ​ET ​EGO ​GODA ​VXOR ​TVA ​DEPREOR ​DNM ​VT ​MISERICORDIAM ​INVENIAD ​
5 ​DS ​OMNIPOTENS ​QVI ​NOS ​FEIT ​CORPORALITER ​DILIERE ​IN ​HAC ​VITA ​
6 ​FAIAD ​NOS ​SPIRITALITER ​GAVDERE ​IN ​ETERNA ​GLORIA ​AMEN ​

Légende

Bleu : mot abrégé.
Violet : signe d'abréviation.



1 ​EGO ​FR̅S ​KM̅I ​GODEMRUS ​PEC[..]TOR ​IIII ​IDUS ​MAI ​DIE ​MIRAUI ​A ​SECꝈO ​DORMI UI ​IN ​XPO̅ ​
2 ​HORA TE  ​Ꝓ ​ME ​OM̅S ​QUI ​HU ​ILLV ​VIVE ​DISVRRITIS ​VT ​PIV[.] ​DN̅S ​MEAS ​DIGNE TVR ​DIMI TE RE ​VLPAS ​
3 ​HOMNES ​QVI ​Ꝓ ​ME ​ORAVERINT ​INDVLGEAD ​ILLIS ​DN̅S ​OMNIA ​PECATA ​EORV[.] ​
4 ​ET ​EGO ​GODA ​VXOR ​TVA ​DEPREOR ​DNM ​VT ​MISERICORDIAM ​INVENIAD ​
5 ​DS ​OMNIPO TE NS ​QVI ​NOS ​FEIT ​CORPORALI TE R ​DI LIERE ​IN ​HAC ​VITA ​
6 ​FAIAD ​NOS ​SPIRITALI TE R ​GAVDERE ​IN ​ETERNA ​GLORIA ​AMEN ​

Légende

Bleu : enclavement.
Orange : conjonction.
Violet : entrelacement.



1 ​EGOFR̅SKM̅IGODEMRUSPEC[..]TORIIIIIDUSMAIDIEMIRAUIASECꝈODORMIUIINXPO̅
2 ​HORATEꝒMEOM̅SQUIHUILLVVI ​ ​ ​VEDISVRRITISVTPIV[.]DN̅SMEASDIGNETVRDIMITEREVLPAS
3 ​HOMNESQVIꝒMEORAVERINTINDVLGEADILLISDN̅SOMNIAPECATAEORV[.] ​ ​ ​ ​ ​
4 ​ETEGOGODAVXORTVADEPREORDNMVTMISERICORDIAMINVENIAD ​ ​
5 ​DSOMNIPOTENSQVINOSFEITCORPORALITERDILIEREINHACVITA
6 ​FAIADNOSSPIRITALITERGAVDEREINETERNAGLORIAAMEN

Légende

Représentation des espaces entre les lettres tels qu'ils sont dans l'inscription.
Violet : signalement des figures qui s'interposent avec le texte.



Édition normalisée

Ego fr(atre)s k(arissi)mi Godemerus pec[ca]tor IIII idus mai die migravi a sec(u)l(o), dormivi in Chr(ist)o. Horate p(ro) me om(ne)s qui huc illuc vive discurritis ut piu[s] D(omi)n(u)s meas dignetur dimitere culpas. Homnes qui p(ro) me oraverint, indulgead illis D(omi)n(u)s omnia peccata eoru[m]. Et ego Goda uxor tua deprecor D(omi)n(u)m ut misericordiam inveniad. D(eu)s omnipotens qui nos fecit corporaliter diligere in hac vita, faciad nos spiritaliter gaudere in eterna gloria. Amen.

Traduction

Frères très chers, moi, Godemerus, pécheur, le quatre des ides de mai [12 mai], du siècle je partis, en Christ je m’endormis. Priez pour moi, vous qui tous, vivants, ici et là courez, afin que daigne remettre mes fautes le Seigneur de piété. Tous ceux qui pour moi auront prié, que le Seigneur soit indulgent pour leurs péchés. Et moi Goda, ton épouse, je supplie le Seigneur pour qu'il obtienne miséricorde. Que Dieu tout-puissant qui nous a fait, en cette vie, nous aimer corporellement nous fasse, dans la gloire éternelle, nous réjouir spirituellement. Amen.

Commentaire

La recherche littéraire et poétique est évidente, même si elle ne correspond pas aux critères de la poésie classique, métrique ou rythmique. On peut certes remarquer un pentamètre (migravi a seculo dormivi in Christo), mais il s’agit vraisemblablement d’une formule courante, qui se rapproche d’autres expressions similaires de la région[1] et fait écho à celle qu’on trouve sur les dalles melloises jumelles d’Ermenbertus et Ermeniardus, exprimé à la 3e personne du singulier. La qualité de la langue est remarquable et les fautes minimes et non significatives : un H ajouté à orate et à omnes (qui rappelle le H de obiit dans l’inscription d’Alradus), et un D au lieu du T à inveniat et indulgeat, traduction graphique d’une variation phonétique probable.

L’originalité littéraire du texte de Godemerus vient avant tout de la prise de parole alternée qu’il révèle : Godemerus, le défunt, s’adresse d’abord à ses frères très chers en leur demandant de prier pour lui, puis demande au Seigneur d’être indulgent pour ceux qui auront prié pour lui. Ensuite, sa veuve Goda s’adresse à lui – elle utilise tua, qui renvoie à son mari – puis au Seigneur pour lui demander la joie éternelle, ensemble. Le renvoi à la solidarité entre les morts et les vivants est typique de l’époque carolingienne bien que rarement évoqué aussi clairement dans le domaine épigraphique. La mention de l’amour charnel entre les époux est quant à elle unique. L’épitaphe de Godemerus, bien qu’émanant d’un milieu lettré et cultivé, répond moins aux critères ecclésiastiques d’une poésie de scriptorium qu’à l’expression du mode de vie de conjugati carolingiens. On peut de fait se demander si ce n’est pas Goda elle-même qui en a rédigé le texte, tout comme Dhuoda, vers 840, écrit un petit manuel pour son fils[2].

Il est bien difficile d’attribuer une date à cette inscription. Il existe dans le cartulaire de Saint-Maixent, d’un bail à complant de vigne fait en 950 par Eble, abbé de Saint-Maixent, à un certain Godemerus et sa femme Ermengarde[3], mais il semble difficile d'y reconnaître les personnages mentionnés dans l'inscription. D'un point de vue archéologique, la dalle de Godemerus appartient à la première phase d'inhumation dans le cimetière carolingien. D'après la paléographie et la langue du texte, on peut lui attribuer une datation à la fin du VIIIe siècle ou au début du IXe en insistant sur l'excellent niveau linguistique.




[1] Treffort, Mémoires carolingiennes, 2007, p. 200.
[2] Pour l'édition de ce texte, voir Dhuoda, Manuel pour mon fils , ed. P. Riché, trad. B. de Vrégille et Cl. Mondésert, Paris, 1975, (Sources chrétiennes, 225). Plus récemment, on verra avec intérêt les introductions qu'on consacrées C. Neel et M. Thiébaux à leur traduction anglaise du texte de Dhuoda. Dhuoda, Handbook for William. A Carolingian Woman's Counsel for her Son, trad. C. Neel, Lincoln, 1991 ; Dhuoda, Handbook for her Warrior Son. Liber Manualis, trad. M. Thiébaux, Cambridge, 1998.
[3] Chartes et documents pour servir à l’histoire de l’abbaye de Saint-Maixent , ed. Richard, A. , Poitiers, 1886, t. I, acte XVIII [oct. 950], p. 30-31.