​ Châtellerault, Pouthumé ​- ​. Inscription funéraire pour Amaricus.  ​  ​


Châtellerault, Pouthumé ​- ​. Inscription funéraire pour Amaricus.

Corpus des Inscriptions de la France Médiévale, vol. Hors-série I, nº70 ​  ​


Description générale

Inscription funéraire à caractère obituaire. 
Dalle funéraire. ​ Pierre, calcaire blanc.  Elle provenait des ruines de l'ancienne abbaye (on ignore la localisation originale précise). ​ Pierre découverte en remploi dans un mur coupé par la tranchée du doublement du gazoduc Ingrandes-Châtellerault en octobre 1996, entre l’espace fouillé et l’enclos abritant l’ancienne église Notre-Dame de Pouthumé. Inscription gravée sur un bloc de calcaire blanc semi-lithographique, d’origine régionale. La pierre formait à l’origine une stèle dont le rebord supérieur était orné de trois croix (il n’en subsiste plus qu’une et demie). Dans son état actuel, il manque à cette stèle une grande moitié droite. Le champ épigraphique, qui se développe sur la partie verticale, est surmonté de deux croix, la troisième étant gravée dans l’inscription elle-même, au centre des deux dernières lignes. Le champ épigraphique couvre la plus grande partie du fragment conservé. On remarque une réglure simple qui enserre le texte dans un cadre régulier. Inscription partielle ; état de conservation : moyen.
Datation : seconde moitié du Xe siècle [datation paléographique et par identification du personnage].

Bibliographie

Lecture d’après l’original étudié au Centre archéologique en novembre 2007.
Cornec, « L'habitat et les cimetières de Pouthumé », 2010, p. 97 [mention] ; Treffort, Mémoires carolingiennes, 2007, ill. 24 [dessin], p. 324 [mention] ; Treffort, Uberti, « Identité des défunts », 2010, fig. 15 [cliché].

Description paléographique

Les capitales romaines alternent de manière assez équilibrée avec les lettres carrées (tous les C, deux O, aux lignes 2 et 5, et le G de legitis l. 4). Dans les trois dernières lignes, le module et l’espacement des lettres changent ; si le blanc laissé entre perpe et tua à la ligne 6 est dû à un accident de la pierre que le lapicide a voulu éviter, l’élargissement extrême du N de amen montre une volonté d’occuper l’espace. Le N de la dernière ligne est encore plus significatif à cet égard. Les lettres mesurent environ 000 cm. Les mots ne sont pas séparés les uns des autres, mais on peut observer deux signes de ponctuation (constitués de trois points superposés) : au début de la ligne 1 et entre Amaricus et de, à la ligne 3. Aucune lettre n’est décorée. Les abréviations concernent soit la date (à la ligne 1), soit des syllabes composées d’une consommes suivie de er : aet(er)nam et p(er)petua, soit le classique p(ro). Aucun enclavement n’est visible et on note une seule conjonction de lettre : TE de orate. Le tilde abréviatif est droit.





Édition imitative


1 ​✝: ​IIII ​· ​KŁ ​DE̅CBR ​ANN[--- ​
2 ​---] ​ODOVICHCVS ​ ​ RE[--- ​
3 ​---]AMARICVS ​⁝ ​ ​DE[--- ​
4 ​---] ​GITIS ​ ​ORATE ​ ​P ​[---
5 ​---] ​AET̶NAM ​ ​DON[--- ​
6 ​---] ​X  ​ ​P̶PETV ​[---
7 ​---] ​MEN  ​[---
8 ​---] ​ NIT  ​[---

1 ​✝: ​IIII ​· ​KŁ ​DE̅BR ​ANN[--- ​
2 ​---] ​ODOVIHVS ​ ​ RE[--- ​
3 ​---]AMARIVS ​⁝ ​ ​DE[--- ​
4 ​---] ​ITIS ​ ​ORATE ​ ​Ꝓ ​[---
5 ​---] ​AET̶NAM ​ ​DON[--- ​
6 ​---] ​X  ​ ​Ꝑ̶PETV ​[---
7 ​---] ​MEN  ​[---
8 ​---] ​ NIT  ​[---

1 ​: ​IIII ​· ​KŁ ​DE̅BR ​ANN[--- ​
2 ​---] ​ODOVIHVS ​ ​ RE[--- ​
3 ​---]AMARIVS ​⁝ ​ ​DE[--- ​
4 ​---] ​ITIS ​ ​ORATE ​ ​ ​[---
5 ​---] ​AET̶NAM ​ ​DON[--- ​
6 ​---] ​X  ​ ​̶PETV ​[---
7 ​---] ​MEN  ​[---
8 ​---] ​ NIT  ​[---

Légende

Violet : caractères allographes.



1 ​✝: ​IIII ​· ​KŁ ​DE̅BR ​ANN[--- ​
2 ​---] ​ODOVIHVS ​ ​ RE[--- ​
3 ​---]AMARIVS ​⁝ ​ ​DE[--- ​
4 ​---] ​ITIS ​ ​ORATE ​ ​ ​[---
5 ​---] ​AET̶NAM ​ ​DON[--- ​
6 ​---] ​X  ​ ​̶PETV ​[---
7 ​---] ​MEN  ​[---
8 ​---] ​ NIT  ​[---

Légende

Bleu : mot abrégé.
Violet : signe d'abréviation.



1 ​✝: ​IIII ​· ​KŁ ​DE̅BR ​ANN[--- ​
2 ​---] ​ODOVIHVS ​ ​ RE[--- ​
3 ​---]AMARIVS ​⁝ ​ ​DE[--- ​
4 ​---] ​ITIS ​ ​ORATE ​ ​Ꝓ ​[---
5 ​---] ​AET̶NAM ​ ​DON[--- ​
6 ​---] ​X  ​ ​Ꝑ̶PETV ​[---
7 ​---] ​MEN  ​[---
8 ​---] ​ NIT  ​[---

Légende

Bleu : enclavement.
Orange : conjonction.
Violet : entrelacement.



1 ​✝:IIII·KŁDE̅BRANN[---
2 ​---]ODOVIHVS RE[---
3 ​---]AMARIVSDE[---
4 ​---]ITISORATEꝒ[---
5 ​---]AET̶NAMDON[---
6 ​---]X Ꝑ̶PE ​TV[---
7 ​---]MEN [---
8 ​---] NIT [---

Légende

Représentation des espaces entre les lettres tels qu'ils sont dans l'inscription.
Violet : signalement des figures qui s'interposent avec le texte.



Édition normalisée

IIII ​k(a)l(endas) dec(em)br(is) ann[o L]odovichcus re[x Sic obiit] Amaricus de[precor vos qui le]gitis orate p(ro)[ ei requiem---] aet(er)nam don[et ei Dominus et lu]x p(er)petua[ luceat ei. ​a]men . [---] ​ nit [---

Traduction

Le quatre des calendes de décembre [28 novembre] l’an […] le roi Louis [… Ainsi est mort] Amaricus. [Je vous en prie, vous qui] lisez, priez pour [lui. Que le Seigneur lui] donne le repos éternel [et que luise pour lui] la lumière éternelle. Amen…

Commentaire

Le nit de la dernière ligne pourrait correspondre à un nom propre, peut-être le commanditaire de la stèle ; même si le cas est rare pour l’époque, on peut mentionner le cas de l’inscription de Raineldis à Aiffres (Deux-Sèvres), où l’on trouve, sur la gauche de la pierre, la mention Aidius ejus f[ilius][1]. Malgré le caractère fragmentaire de l’inscription, le latin utilisé semble relativement classique. On peut toutefois noter la graphie particulière de Lodovichcus.

La formule de datation est originale. On attendrait, comme dans les autres inscriptions du Poitou, l’expression anno … regnante Ludovico … Or, le nom du roi est ici au nominatif, ce qui est relativement rare, y compris dans les chartes. La partie manquante ne peut être très longue, car l’espace qui lui était réservé se réduit à l’équivalent d’une douzaine de lettres. On peut d’autre part restituer obiit ou sic obiit (selon la pratique poitevine et angevine) avant le nom du défunt. La première syllabe de… qui suit le signe de ponctuation ne peut être interprétée comme le début de defunctus, qui apparaît rarement dans les productions lapidaires de cette période, et souvent dans un contexte versifié. Plus sûrement, il débute l'appel à la prière et pourrait correspondre à deprecor, ce qui donnerait une formule proche de celle utilisée dans l’inscription d’Aiffres déjà citée : Precor vos qui legitis pro anima ejus ut Dei Dominus vitam sempiternam. La formule commençant par requiem aeternam, prière funéraire ancienne dans le christianisme occidenta [2], est extrêmement courante dans les inscriptions funéraires, à cette époque comme plus tard. L’originalité est ici qu’elle est citée in extenso.

L’alternance entre lettres carrées et capitales romaines invite à placer cette inscription, d’un point de vue paléographique, dans la première moitié du Xe siècle. Le roi Louis cité à la seconde ligne serait alors Louis IV d’Outremer (936-954). Pour la période concernée, plusieurs Amalricus apparaissent dans la documentation poitevine, en particulier dans les cartulaires de Nouaillé, Saint-Cyprien et Saint-Hilaire de Poitiers. En 928 ou 929, l’un de ces personnages et son épouse Senegundis donnent une partie de leur alleu situé au Coudray, dans la viguerie d’Ingrandes, situé actuellement sur la commune de Châtellerault [3]. Cet Amalricus a de fortes chances d’être apparenté à, voire être celui qui apparaît dans plus d’une dizaine de chartes entre 904 et 937 [4] parmi la quinzaine de grands personnages de la cour comtale. Un acte daté de la première année du roi Louis (936 ou 937 selon l’éditeur) détaille l’ensemble du groupe : Guillaume comte [de Poitiers], Hugues, comte, un autre Hugues, Savary, vicomte [de Thouars], Kadelon vicomte [d’Aulnay], Adrald vicomte [de Châtellerault], Raoul vicomte [de Brosse], Manassès [de la famille des Isembertiens], Adelelmus, Amalricus, Tetbaudus, Gerorius [de Loudun], Hecfredus, Ademarus, Lanbertus auditeur, Aiquinus[5]. Sans être détenteur d’une charge officielle, cet Amalricus gravite donc dans l’entourage comtal pendant une grande partie du Xe siècle et il est possessionné autour de Châtellerault. Si l’épitaphe découverte à Notre-Dame de Pouthumé est la sienne, elle pourrait dénoter de l’importance historique d’un site qui, à l’instar de Saint-Pierre de Melle, accueillit à l’époque carolingienne une partie de la haute aristocratie du temps.




[1] Corpus des Inscriptions de la France Médiévale, I-3, n°1 DS, p. 123-124, fig. 81-84; on émettra cependant des réserves au sujet de cette lecture établie à partir d'un dessin d'A. Bouneault (pl. 1015 du recueil de dessin conservé à la Bibliothèque municipale de Niort).
[2] Ntedika J., L’évocation de l’au-delà dans la prière pour les morts : étude de patristique et de liturgie latines, IVe-VIIe siècles , Louvain-Paris, 1971, p. 192Sicard D., La liturgie de la mort dans l’Église latine des origines à la réforme carolingienne , Münster, 1978 (Liturgiewissenschaftliche Quellen und Forschungen, Bd 63), p. 72-73 et 77-78.
[3] Cartulaire de Saint-Cyprien…, n°272, p. 177-178 : Ego in dei nomine Amalricus et conjux mea Senegundis partem alodii nostri qui est situs un pago Pictavo, in villa que dicitur Coldredium, in vicaria Ygrandinse.
[4] En 954, l’Amalric de la charte de Saint-Cyprien, n°306, p. 191, peut-être le même, peut-être un parent homonyme, en particulier son fils.
[5] Saint-Cyprien, n°549, p. 325 : Senegundis concessit monachis Sancti Cipriani hereditatem suam, que ei in diversis locis jure hereditario competebant […]. Hec omnia concessit et filium quoque suum tradidit. S. Willelmi comitis, Hugoni comitis, item Hugoni, Savarici vicecomitis, Kadeloni vicecomitis, Adraldi vicecomitis, Radulfi vicecomitis, Manassei, Adelelmi, Amalrici, Toetbaudi, Gerorii, Hecfredi, Ademari, Lanberti auditoris, Aiquini. Cette donation est faite par une certaine Senegondis, qui confie également aux moines de Saint-Cyprien son fils ; peut-être s'agit-il de l’épouse d’Amalricus, déjà cité précédemment.