​ Ligugé, Saint-Martin ​- ​Inscription funéraire pour un abbé identifié par un monogramme.  ​  ​


Ligugé, Saint-Martin ​- ​Inscription funéraire pour un abbé identifié par un monogramme.

Corpus des Inscriptions de la France Médiévale, vol. Hors-série I, nº71 ​  ​


Description générale

Inscription funéraire à caractère tumulaire. 
Plate-tombe. ​ Pierre.  Plate-tombe découverte le 18 novembre 1891 lors du creusement des fondations de l'aile orientale du monastère Saint-Martin de Ligugé ; elle était à l’époque brisée en deux morceaux et remployée dans les marches d’un petit escalier. Elle est aujourd’hui encore conservée dans la crypte archéologique de l’abbaye, sous l’église paroissiale. Taille de la dalle = 150 x 60 cm. Elle semble légèrement brisée dans la partie inférieure mais l’intégrité du texte n’a pas été atteinte. Le champ épigraphique couvre la presque totalité de la surface de la pierre. Le texte est inscrit dans un cadre doublement réglé ; il a été préparé soigneusement pour recevoir 15 lignes de texte, avec des réglures simples. Inscription complète ; état de conservation : moyen.
Datation : Fin du VIIIe ou début du IXe siècle [datation paléographique et littéraire].

Bibliographie

Lecture établie l’original vu en place en 2008.
Coquet, « L'inscrpition de Ligugé », 1954, p. 98 [texte] ; Hemgesberg, « Gab es zu Karls des Großen Grabtitulus », 1990, [texte] ; Treffort, Mémoires carolingiennes, 2007, p. 197 [dessin], p. 198 [analyse], p. 327 [mention, bibliographie] ; Treffort, « La dalle funéraire », 2007, p. 285-287 [texte, transcription, étude, bibliographie exhaustive].

Description paléographique

L’écriture associe des capitales romaines de très belle qualité (certaines lettres rondes sont ainsi parfaitement circulaires) et des formes de tradition mérovingienne qui privilégient notamment des barres horizontales s’ancrant en retrait sur la haste verticale ou des ductus très ouverts comme ceux des M par exemple. Les abréviations sont limitées aux nomina sacra (sancti et Christum) et signalées par un tilde droit. On observe plusieurs enclavements (I dans D et I dans V dans edificavi, et I dans L dans basilica) et conjonctions de lettres (N et E de bone, M et A de Martini, M et A de alma, R et A de migravit, D et E de de, A et D de ad, sans compter le monogramme). Le texte ne présence aucune trace de ponctuation.





Édition imitative


1 ​✝SVB ​HOC ​CON
2 ​DITORIO ​SITVM ​
3 ​EST ​CORPVS ​
4 ​BONE ​MEMORIAE ​
5 ​ (monogramme) ABBA ​EDIFICAVI ​
6 ​BASILICA ​S̶C̶I̶ ​ XIIII ​
7 ​MARTINI ​KL ​NVBS̶ ​
8 ​SIC ​OBIIT ​
9 ​IN ​PACAE ​
10 ​CVI ​FVIT ​AL
11 ​MA ​FIDES ​
12 ​VITA ​BEATA ​
13 ​SATIS ​MI
14 ​GRAVIT ​DE ​SC̶LO ​
15 ​AD ​XP̅M̅ ​AMEN ​

1 ​✝SVB ​HO ​ON
2 ​DITORIO ​SITVM ​
3 ​EST ​ORPVS ​
4 ​BONE ​MEMORIA ​
5 ​ (monogramme) ABBA ​EDIFICAVI ​
6 ​BASILICA ​S̶C̶I̶ ​ XIIII ​
7 ​MARTINI ​KꝈ ​NVBS̶ ​
8 ​SIC ​OBIIT ​
9 ​IN ​PACA ​
10 ​CVI ​FVIT ​AL
11 ​MA ​FIDS ​
12 ​VITA ​BATA ​
13 ​SATIS ​MI
14 ​GRAVIT ​DE ​SC̶LO ​
15 ​AD ​XP̅M̅ ​AMEN ​

1 ​SVB ​HO ​ON
2 ​DITORIO ​SITVM ​
3 ​EST ​ORPVS ​
4 ​BONE ​MEMORIA ​
5 ​ (monogramme) ABBA ​EDIFICAVI ​
6 ​BASILICA ​S̶C̶I̶ ​ XIIII ​
7 ​MARTINI ​K ​NVBS̶ ​
8 ​SIC ​OBIIT ​
9 ​IN ​PACA ​
10 ​CVI ​FVIT ​AL
11 ​MA ​FIDS ​
12 ​VITA ​BATA ​
13 ​SATIS ​MI
14 ​GRAVIT ​DE ​SC̶LO ​
15 ​AD ​XP̅M̅ ​AMEN ​

Légende

Violet : caractères allographes.



1 ​✝SVB ​HO ​ON
2 ​DITORIO ​SITVM ​
3 ​EST ​ORPVS ​
4 ​BONE ​MEMORIA ​
5 ​ (monogramme) ABBA ​EDIFICAVI ​
6 ​BASILICA ​S̶C̶I̶ ​ XIIII ​
7 ​MARTINI ​KꝈ ​NVBS̶ ​
8 ​SIC ​OBIIT ​
9 ​IN ​PACA ​
10 ​CVI ​FVIT ​AL
11 ​MA ​FIDS ​
12 ​VITA ​BATA ​
13 ​SATIS ​MI
14 ​GRAVIT ​DE ​SC̶LO ​
15 ​AD ​XP̅M̅ ​AMEN ​

Légende

Bleu : mot abrégé.
Violet : signe d'abréviation.



1 ​✝SVB ​HO ​ON
2 ​DITORIO ​SITVM ​
3 ​EST ​ORPVS ​
4 ​BONE ​MEMORIA ​
5 ​ (monogramme) ABBA ​EDIFICAVI ​
6 ​BASILICA ​S̶C̶I̶ ​ XIIII ​
7 ​MARTINI ​KꝈ ​NVBS̶ ​
8 ​SIC ​OBIIT ​
9 ​IN ​PACA ​
10 ​CVI ​FVIT ​AL
11 ​MA ​FIDS ​
12 ​VITA ​BATA ​
13 ​SATIS ​MI
14 ​GRAVIT ​DE ​SC̶LO ​
15 ​AD ​XP̅M̅ ​AMEN ​

Légende

Bleu : enclavement.
Orange : conjonction.
Violet : entrelacement.



1 ​✝SVBHOON
2 ​DITORIOSITVM
3 ​ESTORPVS
4 ​BONEMEMORIA
5 ​ (monogramme) ABBAEDIFICAVI
6 ​BASILICAS̶C̶I̶ XIIII
7 ​MARTINIKꝈNVBS̶
8 ​SICOBIIT
9 ​INPACA
10 ​CVIFVITAL
11 ​MAFIDS
12 ​VITABATA
13 ​SATISMI
14 ​GRAVITDESC̶LO
15 ​ADXP̅M̅AMEN

Légende

Représentation des espaces entre les lettres tels qu'ils sont dans l'inscription.
Violet : signalement des figures qui s'interposent avec le texte.



Édition normalisée

Sub hoc conditorio situm est corpus bone memoriae (monogramme) abba. Edificavi basilica s(an)c(t)i Martini. XIIII K(a)l(endas) n(o)v(em)b(ri)s sic obiit in pacae, cui fuit alma fides vita beata satis. Migravit de s(e)c(u)lo ad Chr(istu)m. Amen.

Traduction

Sous ce tombeau est déposé le corps de…, abbé de bonne mémoire. J’ai édifié la basilique de Saint-Martin. Ainsi, le 14 des calendes de novembre [19 octobre], il est mort en paix, lui dont la foi fut douce et la vie bienheureuse. Il est parti du siècle vers le Christ. Amen.

Commentaire

Cette inscription est rédigée en prose avec insertion d'un pentamètre correct connu par ailleurs : cui fuit alma fides vita beata satis. Malgré cette recherche poétique, on note quelques variations dans la langue latine, en particulier en ce qui concerne l’emploi des cas : abba pour abbatis, basilica pour basilicam. La diphtongue -ae dans pacae (pour pace) correspond à une hyper-correction.

L'écriture employée sur la dalle n'est pas incompatible avec une datation dans la première moitié du IXe siècle dans la mesure où elle présente des caractéristiques « mérovingiennes » en nombre limité (avec notamment des barres horizontales s'ancrant en retrait sur la haste verticale pour certains E, C, F et L, ainsi que des M aux jambages très écartés) associées à des capitales romaines très « carolingiennes ». Cette mixité des formes dans une même inscription pourrait témoigner de sa réalisation à une époque où la réforme carolingienne, bien que déjà en place, n'est pas encore sensible dans toute la documentation écrite. La plupart des formules funéraires, comme on l'a vu plus haut pour sub hoc conditorio situm est corpus, se rencontrent à l'époque carolingienne ; c'est le cas de sic obiit[1], du pentamètre cui fuit alma fides beata satis[2], ou encore de migravit de seculo ad Christum[3]. Ce faisceau de convergence pour l'époque carolingienne, et probablement le début du IXe siècle, démarque l'inscription de Ligugé de la tradition historiographique qui en a fait tour à tour une épitaphe romane en 1893[4], l'a faite remonter au vie siècle en 1929[5], avant de la fixer, sous la plume de Dom Coquet, à la fin du VIIe siècle[6]. Le savant, moine de Ligugé, se base sur une analyse discutable de l'écriture mais surtout sur l'identification du défunt. Il y voit en effet l'abbé Ursinus identifié à la ligne 5 par son monogramme. Rien ne permet objectivement de retrouver ce nom à partir des lettres entrelacées, d'autant que la pratique des monogrammes est trop peu répandue en épigraphie pour que l'on puisse établir des comparaisons à ce sujet avec d'autres inscriptions. La proposition de Dom Coquet a cependant servi de datation à différentes parties du monastère poitevin ; les études récentes sur les restes archéologiques encore visibles dans la crypte[7] nuancent aujourd'hui fortement une datation à l'époque mérovingienne. Tirée de son utilisation orientée dans la chronologie de la fondation monastique, l'inscription peut aujourd'hui être envisagée de façon objective et replacée dans la série des inscriptions funéraires carolingiennes de l'Ouest de la France en apportant le témoignage d'une écriture et d'un vocabulaire probablement datés du IXe siècle.

L’inscription comprend un certain nombre de formules courantes que l’on rencontre dans les inscriptions carolingiennes du Poitou ou ailleurs à la même époque ; c’est le cas de bone memorie, de sic obiit, de migravit de seculo ad Christum. La conjonction de ces expressions au sein d’un même ensemble est toutefois assez original, comme l'est également la formule tumulaire qui ouvre le texte : sub hoc conditorio situm est corpus. Il s’agit de la formule initiale de l’épitaphe de Charlemagne rapportée par Eginhard et copiée dans plusieurs manuscrits[8]. Son emploi dans le texte de Ligugé pose la question de l’identification du texte-source et du texte-copie ; sans doute faut-il envisager que l’épitaphe de l’abbé poitevin copie une formule de l’épitaphe impériale qui circulait assez largement sous forme manuscrite. Cet élément placerait donc le texte de Ligugé après 814.




[1] Voir dans ce volume les notices n° 24, 52, 79, 80 et 82.
[2] Voir dans ce volume les notices n° 34 et 53.
[3] Voir, pour des formules approchées, les notices n° 36, 64 et 65 par exemple.
[4] Rabory D., « Les sanctuaires de saint Martin. Histoire de son culte et de ses reliques. Ligugé » Bulletin de l'Association de Saint-Martin à Ligugé, n°9, juillet 1893, p. 136-139.
[5] Monsabert P. de, Le monastère de Ligugé : étude historique , Ligugé, 1929.
[6] Coquet J., « L'inscription tumulaire de Ligugé (fin du VIIe siècle) » Revue Mabillon, t. XLIV, 1954, p. 100.
[7] Février, P.-A., Duval, N., « Ligugé. Église Saint-Martin » Les premiers monuments chétiens de la France, 2 : Sud-Ouest et Centre , Paris, 1996, p. 278-283, p. 282.
[8] Eginhard, Vie de Charlemagne, éd. MGH, SS, RG, 25 , p. 35-36.