Cette inscription funéraire pour une femme nommée Gausberga (prénom attesté du IXe au XIe siècle)[1], se démarque des autres épitaphes de Saint-Outrille-du-Château par sa qualité à la fois matérielle et textuelle. Les lettres ont été gravées avec soin et régularité. De plus, le texte a un réel caractère poétique, puisqu’il est peut-être formé d’un distique élégiaque auquel vient s’adjoindre la date du décès en prose.
Aux lignes 3 et 4 est gravée une autre expression formulaire courante à Bourges qui forme un pentamètre : Qui studuit vitam semper habere piam. Françoise Jenn a interprété l’expression gravée aux lignes 1 et 2, clauditur oc gremium Gausberga rite sepulta, comme un hexamètre, marqué par des points triangulaires à la coupe (qui correspond à la fin de la première ligne) et à la fin (après le mot sepulta). La ponctuation traduirait un rythme, rarement marqué par un signe sur les autres plates-tombes. S’il s’agit bien d’un hexamètre l’anthroponyme Gausberga serait à l’ablatif et non au nominatif, et hoc gremium serait le sujet du verbe clauditur. Il est difficile de comprendre ce que désigne l’expression rite sepulta, si ce n’est un attachement à la liturgie de l’inhumation chrétienne. L’adverbe peut aussi avoir été employé pour des raisons métriques. La traduction proposée par Fr. Jenn est : « Le sein de la terre se renferme sur Gausberga, ensevelie selon le rite ».
Néanmoins, sans que l’on puisse rejeter entièrement cette hypothèse, plusieurs indices plaident en faveur d’une autre interprétation. Le verbe clauditur est courant dans les inscriptions médiévales (plutôt aux XIe-XIIIe siècles), mais au sens réellement passif (« est enfermé » et non « se referme ») et avec pour sujet le défunt. Gausberga serait alors ici un nominatif, avec une terminaison brève, ce qui rend faux le quatrième pied. Dans l’inscription suivante, pour Wandalbertus, l’anthroponyme est clairement au nominatif. Le mot gremium, qui au sens propre signifie le sein, peut désigner la terre, mais est plus souvent employé métaphoriquement pour qualifier le tombeau. L’épitaphe de l’abbé Wifred, mort en 1020, à Saint-Victor de Marseille, comporte un premier vers très explicite, évoquant « le sein de pierre » du tombeau : continet in gremio tumulus hic membra petrino[2]. De plus, clauditur est fréquemment suivi de complément d’agent désignant la tombe : tumulo[3], sarcophago[4]. L’expression hoc gremium pourrait certes être interprétée comme un nominatif-accusatif, cependant la confusion de cette terminaison avec un ablatif est courante dans le latin du haut Moyen Âge (une erreur de ce type est d’ailleurs lisible dans l’inscription d’Unberga, sub hunc tumulum au lieu de sub hoc tumulo). Il est donc préférable de traduire ces deux premières lignes par : Gausberga, ensevelie selon le rite, est enfermée dans ce sein. Cette phrase garde son caractère poétique, même si la métrique n’est pas totalement correcte.
Présentation du site et informations additionnelles
Le Musée du Berry possède une collection de vingt-cinq inscriptions funéraires du haut Moyen Âge, gravées essentiellement sur des plates-tombes, mais aussi sur des couvercles de sarcophage et peut-être des stèles. Elles proviennent pour la plupart de Saint-Outrille-du-Château où se trouvait un ensemble monastique urbain de Bourges, fondé probablement avant le VIe siècle. Le monastère reçut les sépultures de cinq évêques entre la fin du VIe siècle et le premier quart du VIIe siècle ; son rôle déclina par la suite et seul Étienne y encore est inhumé vers 830. Le nombre particulièrement élevé de ces épitaphes semble indiquer le statut particulier du site à l’époque. La découverte de ces textes épigraphiques s’est faite en quatre étapes, plus ou moins bien documentées pour les plus anciennes : la première avant 1870, puis en 1874, en 1934 et en 1981 lors de fouilles de sauvetage. Ces inscriptions sont classées ici par ordre de découverte la plus récente, qui est le classement adopté par Françoise Jenn et Oliver Ruffier dans leur article très détaillé sur lequel s’appuient ces notices[5]. La mission du CIFM dans les réserves du Musée du Berry à Bourges a permis de mettre au jour un nouveau fragment (notice n°95), ainsi que de découvrir une plate-tombe bûchée (non publiée puisqu’elle est désormais anépigraphe).Il est difficile de dater avec précision ces textes, la confrontation de plusieurs critères permet de les attribuer aux époques mérovingienne (notices n°84-88 selon Olivier Ruffier) ou carolingienne, et peut-être certains d’entre eux relèvent-ils davantage du RICG que du CIFM. Sans être assuré de la datation haute et afin de respecter la cohérence de l’ensemble, il est préférable d’éditer toute la collection. Pour mieux comprendre la production épigraphique de ces périodes, nous renvoyons le lecteur au volume Hors Série n°1 du CIFM consacré aux épitaphes carolingiennes du Centre Ouest de la France (Poitou, Touraine, Anjou, Maine)[6].
Les défunts commémorés par ces inscriptions sont des hommes, des femmes et des enfants, dont le statut social n’est jamais mentionné ; on ne sait donc s’il s’agit de clercs ou de laïcs. Ces personnages sont, sans nul doute, des lettrés appartenant à une élite cultivée. Leur lien avec Saint-Outrille n’est pas connu. Les similitudes repérables dans la dizaine d’épitaphes découvertes en 1981 laissent penser à l’existence d’un atelier ayant travaillé pour la nécropole de Saint-Outrille, sur une période de temps assez brève. La composition formulaire de cette série a été étudiée par Cécile Treffort[7]. Les rédacteurs, qui pouvaient être les lapicides eux-mêmes, avaient sans doute à leur disposition plusieurs membres de phrases, dont certains étaient versifiés, et ils les associaient comme ils l’entendaient.