​ Tours, Saint-Martin ​- ​Epitaphe d'Alcuin pour lui-même  ​  ​


Tours, Saint-Martin ​- ​Epitaphe d'Alcuin pour lui-même

Corpus des Inscriptions de la France Médiévale, vol. Hors-série I, nº7 ​  ​


Description générale

Inscription funéraire à caractère tumulaire. 
Selon la Vita Alcuini rédigée vers 820, on posa, à sa mort, « comme il l’avait ordonné, au-dessus de sa tombe, une inscription qu’il avait lui-même rédigée de son vivant, écrite sur une plaque de bronze et insérée dans le mur[1] ». L’inscription, qui était donc primitivement exposée dans la basilique Saint-Martin à Tours, a depuis longtemps disparu mais son texte a été conservé, avec diverses variantes, dans plus d'une vingtaine de manuscrits entre le IXe et le XIIe siècle. Datation : proposée pour la rédaction : fin VIIIe ou tout début IXe siècle, assurément avant 804, date de décès d’Alcuin qui en est l’auteur [datation par identification de l’auteur et des circonstances de composition du texte].

Bibliographie

Jullien, Perelman, Clavis Alcuin, 1999, ALC 46.[2].123 ; Schaller, Könsgen, Initia carminum, n°6687-6688 ; Wallach, « The Epitaph of Alcuin », 1955, p. 367-368 [texte] et 373 [trad. anglaise] ; Consolino, « Es nunc quod fueram », 1984, p. 123 [texte partiel] ; Wolff, La poésie funéraire épigraphique, 2000, p. 116-117 [traduction] ; Treffort, « La place d’Alcuin », 2004 [mention] ; Treffort, Mémoires carolingiennes, 2007, p. 97 [trad. partielle] ; CIFM, 25, 2014, n°112, p. 131-132 [notice abrégée].

Édition

Hic rogo pauxillum veniens subsiste viator
et mea scrutare pectore dicta tuo,
ut tua deque meis agnoscas fata figuris
vertitur o species, ut mea, sic que tua.
Quod nunc es fueram, famosus in orbe, viator,
et quod nunc ego sum, tu que futurus eris.
Delicias mundi casso sectabar amore,
nunc cinis et pulvis, vermibus atque cibus.
Quapropter potius animam curare memento,
quam carnem, quoniam haec manet, illa perit.
Cur tibi rura paras quam parvo cernis in antro ? ​
Me tenet hic requies : sic tua parva fiet.
Cur Tyrio corpus inhias vestirier ostro,
quod mox esuriens pulvere vermis edet ?
Ut flores pereunt vento veniente minaci,
sic tua nam que, caro, gloria tota perit
Tu mihi redde vicem, lector, rogo carminis hujus
et dic : da veniam, Christe, tuo famulo
Obsecro, nulla manus violet pia jura sepulcri ;
personet angelica donec ab arce tuba
Qui jaces in tumulo terrae de pulvere surge,
magnus adest judex milibus innumeris
Alchuine ​nomen erat sophiam mihi semper amanti,
pro quo funde preces mente legens titulum
Hic requiescit beatae memoriae domnus Alchuinus abba, qui obiit in pace XIV kal. junias. quando legeritis, o vos omnes, orate pro eo et dicite : requiem aeternam donet ei, Dominus. amen.

Traduction

Ô voyageur qui passe, arrête-toi un peu, je t’en prie,
   Pour scruter en ton cœur ce que je dis.
Et pour reconnaître ton destin en mes traits.
   Comme la mienne, ton apparence sera changée ;
Ce que maintenant tu es, voyageur, célèbre en ce monde, je l’ai été
   Et ce que maintenant je suis, dans le futur tu le seras.
Je poursuivais les délices de ce monde d’un amour chimérique,
   Moi qui suis maintenant cendre, poussière, nourriture pour les vers.
C’est pourquoi rappelle-toi de prendre soin bien plus de l’âme
   Que de la chair car celle-là reste et celle-ci périt.
Pourquoi te préparer des propriétés ? À cette petite fosse que tu vois
   Où le repos me tient, la tienne sera pareille, toute petite.
Pourquoi cherches-tu à vêtir de la pourpre de Tyr ce corps
   Que bientôt poussière, le ver affamé mangera ?
Comme les fleurs périssent quand vient le vent menaçant,
   De même ta chair, toute ta gloire, périt.
Ô toi, lecteur, fais-moi, je t’en prie, retour de ce poème,
   Et dis « Pardonne, ô Christ, à ton serviteur ».
Je supplie qu’aucune main ne viole les droits sacrés du tombeau
   Jusqu’à ce que retentisse l’angélique voix de la cité d’en haut,
« Toi qui gis dans ce tombeau en terre, relève-toi de la poussière,
   Le grand Juge est là pour d’innombrables milliers ».
Moi qui toujours ai aimé la sagesse, Alcuin était mon nom.
   Pour lui, en lisant cette inscription, répands en esprit tes prières.
Ici repose le seigneur Alcuin, abbé de bienheureuse mémoire, qui mourut en paix le 14 des calendes de juin. Lorsque vous lirez, ô vous tous, priez pour lui et dites : « Seigneur, donne-lui le repos éternel. Amen. »

Commentaire

Cette épitaphe, composée de douze distiques, est suivie, dans quelques manuscrits, du court texte en prose comprenant une notice nécrologique et un appel à la prière. On en trouve copie non seulement parmi les œuvres d’Alcuin mais également dans des recueils grammaticaux qui ont participé à son succès[2]. Le poème a servi de modèle par exemple pour le diacre Pacificus, mort à Vérone en 846, qui en reprend l’intégralité[3], ou bien celles d’Angilbert, de Wolfhart, de Walafrid Strabon[4].

Le texte n’a aucune valeur biographique, ce qui a facilité, assurément, sa réutilisation. La thématique principale en est une réflexion sur la fugacité de la vie, comme les fleurs fragiles renversées par le vent du vers 15, sur la vanité des plaisirs terrestres et sur la nécessité de soigner son âme plus que son corps qui, de nature périssable, est voué à redevenir cendre et poussière[5]. Le texte appelle à plusieurs reprises le viator, le passant (thématique déjà très présente dans l’Antiquité et largement reprise par Alcuin), à prier pour le défunt. Les vers 19-20, qui en appellent au respect du tombeau, évoquent d’autres épitaphes contemporaines, celles de Constantin par Paul Diacre, de Bernwuin par lui-même[6] ou, un peu plus tard, de Dungal de Saint-Denis[7]. On les retrouve sur l’ardoise de Vertou[8], sans qu’on sache si cette dernière en est directement inspirée ou si les deux puisent à une source commune non encore identifiée.




[1] Super cujus tumulum positum est, sicut ipse jusserat, titulus, quem ipse vivens dictaverat, lamina scripta in aerea parietique insertus.éd. W. Arndt, MGH, SS, XV-1, p. 197.
[2] Treffort C., « La place d'Alcuin », 2004, p. 353-369 ; Treffort C., Mémoires carolingiennes, 2007, p. 203-225.
[3] La Rocca Cr., Pacifico di Verona. Il passato carolingio nella costruzione della memoria urbana, con una nota di St. Zaponi, Roma, nella dese dell’Istituto Palazzo Borromini, 1995, (Istituto storico italiano per il medio evo. Nuovi studi storici, 31) ; voir aussi Treffort, Mémoires carolingiennes, 2007, p. 201-203.
[4] Voir Traube L., Karolingische Dichtungen. Aedelwulf. Alchuine. Angilbert. Rhytmen , Berlin Weidmannsche Buchhandlung, 1888 (Schriften zur Germanischen Philologie, Hft 1), p. 55 ainsi que MGH, Poet. lat., II, p. 410 et 424.
[5] Sur ce thème, voir Favreau R., « L’épitaphe d’Henri II Plantagenêt à Fontevraud » dans Cahiers de la Civilisation Médiévale, 2007, 50, n°197, p. 3-10.
[6] MGH, Poet. lat., I, p. 78-79 et 420-421.
[7] Silvestre H., « La véritable épitaphe de Dungal, reclus de Saint-Denis et auteur des “Responsa contra Claudium” ? » Revue bénédictine, LXI, n°1-4, 1951, p. 256-259.
[8] CIFM, HSI, n°19.